Prédication du dimanche 21 mai 2017 - Matthieu 18. 21-35 - Le pardon, une libération (S.Guiton)



Culte de baptêmes (Pauline C. - Anne-Lise T.)

Dans son témoignage, Anne-Lise a évoqué ses questions, ses luttes avec Dieu, et son choix d’accepter le pardon de Dieu, ce choix libre et personnel qu’elle exprime aujourd’hui, comme Pauline, par le baptême]. 
Arrêtons-nous un moment sur ce mot : le pardon
Il est au coeur de ce que nous vivons ce matin. 
Au coeur de la foi chrétienne : ainsi, cette croix derrière moi parle de la grâce, autre nom du pardon, que Dieu accorde à ceux qui croient. 
Le baptême d’Anne-Lise et Pauline, qui aura lieu dans quelques minutes, symbolisera aussi leur foi dans ce pardon de Dieu, qui les lave de tout péché.
Et le pardon est aussi, dans nos vies agitées, une source de questions, de souffrances parfois, de résistances souvent : dois-je vraiment pardonner ? Et comment ? Jusqu’où ? 

Ces questions sont au contre du passage de la Bible que je vous invite à méditer.
Nous lisons dans l’Evangile de Matthieu, 18.21-35

Lecture 
21 Alors Pierre s'approche de Jésus et lui demande : « Seigneur, quand mon frère me fait du mal, je devrai lui pardonner combien de fois ? Jusqu'à 7 fois ? » 
22 Jésus lui répond : « Je ne te dis pas jusqu'à 7 fois, mais jusqu'à 70 fois 7 fois. 

Le pardon, c’est quelque chose qui préoccupe Pierre. Il envisage peut-être d’aller jusqu’à 7 pardons pour une même personne, ce qui est très généreux car les religieux de l’époque recommandaient de ne pas dépasser trois fois. Mais la réponse de Jésus fait exploser tous les cadres : 77 fois 7 fois, c’est une manière de dire : sans limites ! 
Tu dois pardonner à ton frère… sans limites. Que ce soit pour des torts différents ou pour la même offense. 

Et Jésus poursuit en racontant à un Pierre certainement stupéfait une histoire - une parabole - qui développe son propos
« Le Royaume des cieux ressemble à ceci : Un roi veut régler ses comptes avec ses serviteurs…. On lui amène un serviteur qui lui doit des millions de pièces d'argent. 
Le serviteur ne peut pas rembourser. Alors le roi donne cet ordre : « Vendez-le comme esclave ! Vendez aussi sa femme, ses enfants et tout ce qu'il a ! Et qu'il paie sa dette ! » Mais le serviteur se met à genoux devant le maître et il lui dit : « Sois patient avec moi, et je te rembourserai tout ! » Le maître est plein de pitié pour son serviteur. Il supprime sa dette et le laisse partir ».

La dette est pourtant colossale. Le texte original donne le chiffre de dix mille talents. Or un talent valait 6000 deniers et un denier correspondait au salaire quotidien d’un ouvrier. Le roi local touchait 200 talents par an…

Peu à peu, la question du pardon devient concrète : offenser quelqu’un, dit Jésus, c’est comme contracter une dette envers lui. Et pardonner, c’est ne plus tenir compte de cette dette, libérer l’autre de cette obligation. 

Mais l’histoire continue : le serviteur, pourtant libéré d’une dette qu’il n’aurait jamais pu rembourser, va se montrer impitoyable avec quelqu’un qui pourtant lui doit beaucoup moins. 

« Il rencontre un de ses camarades de travail qui lui doit 100 pièces d'argent. Le serviteur le saisit. Il lui serre le cou et lui dit : « Rembourse ce que tu me dois ! » Son camarade se jette à ses pieds et il le supplie en disant : « Sois patient avec moi, et je te rembourserai ! » Mais le serviteur refuse. Il fait jeter son camarade en prison, en attendant qu'il rembourse sa dette ». 
Le serviteur pardonné refuse de pardonner à son tour. Cela déclenche la colère du roi qui revient sur sa remise de dette. Il « fait venir le serviteur et il lui dit : « Mauvais serviteur ! J'ai supprimé toute ta dette parce que tu m'as supplié. Toi aussi, tu devais avoir pitié de ton camarade, comme j'ai eu pitié de toi ! ». Le maître en colère envoie le serviteur en prison pour le punir. Le serviteur restera là en attendant qu'il rembourse toute sa dette. ». 

Que nous apprend Jésus sur le pardon, ici ? 

D’abord, qu’il y a un lien entre le pardon qui nous accordé par Dieu et celui que nous devons accorder aux autres. 
« Mon Père qui est dans les cieux vous fera la même chose (refuser le pardon) si chacun de vous ne pardonne pas à ses frères et soeurs de tout son coeur » (v.35).

On entend en écho les paroles du Notre Père : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». 

Fait-il entendre ici une menace ? Plutôt un avertissement : que se passe-t’il quand le pardon est refusé, dit Jésus ?  Une dette reste, des liens d’asservissement sont maintenus, des gens sont en prison. En somme, le non pardon a un impact négatif plus profond qu’on ne le pense sur nous mêmes, sur nos relations avec les autres et avec Dieu

A l’inverse pardonner, c’est délier. C’est libérer
Il y a peut-être là une réponse à la question : « pourquoi pardonner ? »

Quand je pardonne à quelqu’un, je détache des liens. Les liens de la vengeance d’abord. Jésus y fait une allusion discrète ici avec son « « soixante-dix fois sept fois », une expression qui renvoie au début de la Bible, en Genèse 4.23-24, où un certain Lémek réclame le droit de se venger « soixante-dix fois sept fois ». 
Jésus inverse donc le mouvement : au lieu de la vengeance illimitée, le pardon illimité. 
Ce qui signifie que quand je pardonne, je renonce au « droit à la vengeance » que pourrait me donner l’offense de l’autre : tu m’as fait ça, tu vas voir ce que tu vas prendre. Tout me pousse à dire : tu me dois une insulte, un coup bas. Mais je choisis de te libérer de cette dette. 
C’est d’ailleurs le sens du mot grec employé ici : relâcher, laisser aller. Lâcher le droit de faire du mal en retour. 
Renoncer à cela, c’est donc délier, libérer l’autre, qui ne me doit plus rien, mais aussi me libérer moi-même. Car la colère et le ressentiment me lient à cette personne. Et ils m’enferment aussi. 
Et finalement tout le monde est malheureux.
Il suffit de voir combien le fait d’être en froid avec quelqu’un qui vous a fait un sale coup peut entacher votre vie. Il y a ceux qui vont faire un long détour par le parking derrière pour ne plus croiser la personne en question. D’autres vont ruminer en boucle leurs reproches, en allant déverser à droite à gauche leur colère : « tu sais pas ce qu’il a osé me dire… ?! ». 

Cette puissante dynamique de destruction est bien connue. Elle est le moteur simple et efficace de bien des histoires, de l’Odyssée d’Ulysse à Django Unchained ou Jason Bourne. Le spectateur ressent une sorte de jubilation primitive à voir un héros humilié remonter le fil de la vengeance jusqu’à ce que tous ses offenseurs soient écrasés à leur tour. 

Mais dans la « vraie vie » ? Est-ce que la colère et la vengeance ne nous enferment pas, ne nous détruisent pas nous aussi ? 
« Il fait jeter son camarade en prison, en attendant qu’il rembourse sa dette ».
Quand je garde l’autre en prison, jusqu’à ce qu’il m’ait payé la dette… est-ce que je me rends compte que je suis dans la prison avec lui ? 

Alors pardonner, ce sera lâcher, laisser aller. Lâcher aussi l’amertume, le ressentiment, qui rendent mon coeur malade, qui me lient et m’empêchent d’avancer. 

D’accord, dira-t’on, mais comment parvenir à pardonner ainsi ? Pierre envisageait d’aller jusqu’à sept fois, mais quand même ! 

En répondant « 77 fois 7 fois » et en précisant qu’il faut pardonner « de tout son coeur », Jésus dit aussi que le pardon est quelque chose d’exigeant, qui demande souvent du temps, pour un travail en profondeur. 

77 fois 7 fois, parce que comme le dit Linda Oyer, déclarer le pardon n’est pas une fin en soi, et que le but, c’est la restauration de la relation
Or, reconstruire une relation avec quelqu’un qui vous a trahi ou blessé, ça peut impliquer un processus long, complexe - et douloureux ! 
77 fois 7 fois, parce qu’il faut de la persévérance dans le processus, jusqu’à ce que l’offense soit guérie. J’ai peut-être pardonné sincèrement, mais il est fort possible que le souvenir de l’offense m’attriste encore longtemps, et que je doive alors continuer à pardonner - soixante-dix sept fois sept fois la même offense

Et puis « de tout son coeur », ajoute Jésus, parce que c’est dur, et que ça va remuer en nous des choses très profondes.  
Certes, dans une attitude très « chrétienne » en apparence, on peut « déclarer » qu’on pardonne l’autre, parce que Jésus le demande - mais « tout notre coeur » est-il engagé ? 
Un vrai pardon implique d’écouter en nous les émotions négatives, le ressentiment, l’humiliation, la tristesse - pour elles aussi les laisser aller, comme l’offenseur. 
Reconnaître la colère notamment est fondamental dans ce processus. Car le pardon est le remède contre la colère.
Cette colère doit être reconnue, car elle n’est pas forcément un péché, et que « ce qui ne s’exprime pas s’imprime ». Dieu nous invite à l’exprimer librement devant lui, comme le font tant d’auteurs dans la Bible. 

« De tout notre coeur » - un coeur qui doit aussi être écouté, dans ses peurs et ses blessures. 
Dans son besoin de protection aussi : est-ce qu’en pardonnant je ne cautionne pas le mal qu’on m’a fait ? Est-ce que ce n’est pas une faiblesse, qui va m’exposer à être à nouveau agressé ? 
Ces questions sont légitimes, et il faut autant que possible se protéger des agresseurs : un chrétien n’est pas un paillasson ! Dans le processus de pardon, on peut être amené à couper avec des gens, à mettre des distances. Mais comme le dit Jésus ici, sans aller jusqu’à la vengeance, qui nous enferme avec l’offenseur dans la prison sans issue d’une colère destructrice. Dans l’espérance d’une restauration de la relation. 

[pause]
« Seigneur, quand mon frère me fait du mal, je devrai lui pardonner combien de fois ? Jusqu'à 7 fois ? ».
Comme Pierre, le pardon nous interroge, parce qu’il nous dérange, en fin de compte. Il nous insécurise.
Reconnaissons-le, ce commandement du pardon illimité est un scandale pour notre raison, pour notre sens de la justice. Et c’est bien pour cela qu’il nous amène à Dieu, sans qui pardonner semble impossible. 

C’est ce que Roland Giraud a découvert. Dans son livre En toute liberté, l’acteur protestant raconte comment il a pardonné à l’homme qui a assassiné sauvagement sa fille, Géraldine, et son amie. 
Cela a été difficile. Sa femme Maaïke, très vite, l’a fait, mais lui résistait. 
« Le pardon me semble humainement impossible », écrit-il. « Il ressemble trop à de la faiblesse. Pourtant, il faut pardonner, il faut être capable de de faire grâce. En évoquant la grâce, je découvre une autre dimension du pardon : gracier c’est accorder quelque chose de totalement immérité… ». Pour autant, ce n’est pas excuser. Le meurtrier de sa fille « n’avait pas d’excuse ». « Inexcusable, pour moi, il l’est ! » écrit Roland Giraud. « Puis-je donc le pardonner ? Avant de répondre, il me faut guérir de la blessure infligée ». 
Dans ses luttes, il a réalisé combien « l’esprit de vengeance empoisonne l’existence ». 
Et il est arrivé à dire cela : « je crois … que le pardon est un don que l’on fait à l’offenseur, lequel est considéré comme capable de changements et d’amélioration. L’offensé investit dans l’offenseur jusqu’à lui permettre de s’ouvrir à d’autres horizons ». 
Et il conclut par cette citation : « le pardon est plus un acte qui invente un avenir qu’un acte qui efface le passé ».  

Un acte qui invente un avenir. Un don que l’on fait à l’offenseur. Don d’une libération, d’une remise de dette. 
Comme le don que Dieu nous fait, en Jésus, de nous libérer de tout ce qui nous sépare de lui - nos offenses envers lui, nos manquements à sa volonté, notamment à l’amour et à la justice. Tout ce que la Bible appelle le péché
Alors même qu’il meurt sur la croix, où il prend sur lui le poids de notre dette, Jésus met en oeuvre ce qu’il a lui-même commandé : il pardonne. 
« Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». 
Remise de dette. Don fait par le Fils de Dieu à ses offenseurs, vus comme des malades qu’il est encore possible de sauver. 

Un tel amour appelle une réponse de notre part, qui sera un abandon confiant (cf témoignage d’Anne-Lise). 
Abandonner à Dieu le soin de faire justice, et comme lui, faire à nos offenseurs ce don d’amour totalement insensé qu’est le pardon - pour qu’ils vivent, et nous avec eux. 
Abandonner notre droit à la riposte, et faire le choix déraisonnable de la puissance libératrice du pardon, qui est le choix même de Dieu.
Abandonner notre vie entre les mains de Dieu, comme le symbolise le baptême - accepter la grâce de Dieu, mourir à nous-mêmes et commencer une vie nouvelle avec lui. 

Et cela soixante-dix sept fois sept fois ! La barre est placée trop haut pour nous. Mais nous pouvons demander à Dieu de nous aider à pardonner déjà, une première fois. 
C’est si dur ! 
Roland Giraud le dit : « que Dieu me pardonne ce manque de pardon. Lui seul est Dieu. Moi, je ne suis qu’un père blessé ».

Prenons donc un temps de silence maintenant pour nous interroger, devant Dieu, dans la prière : 
Est-ce qu’il y a quelqu’un à qui je devrais faire grâce - lui accorder le pardon, le libérer de sa dette ? 
Est-ce que je souhaite recevoir le pardon de Dieu et continuer ma route libéré, avec lui ? 

S. Guiton 





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