Prédication du dimanche 18 novembre 2018 - 2 Corinthiens 9. 19-23 - Se faire « tout à tous » (S. Guiton)

[Intro : témoignage de Mireille D.]

Le témoignage de Mireille pose une question qui nous concerne tous : à quoi suis-je prêt à renoncer pour le bien de l’autre ? Comme le Seigneur l’a poussée à renoncer à ses exigences techniques pour élargir son champ de vision (au propre comme au figuré !) et permettre à ces jeunes de mener à bien leur projet, il nous invite aussi à faire un tel chemin intérieur, pour le bien des autres. Comme le dit Paul dans sa première lettre aux Corinthiens : « que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui de l’autre ! ». 

Pour l’apôtre, ce commandement n’est pas de la théorie, une belle parole jetée en l’air : dans le chapitre de la lettre aux Corinthiens qui précède (9), il explique comment lui-même a décidé de renoncer à certaines choses pour le bien d’autres personnes.

A Corinthe, certains contestent son autorité parce qu’il travaille pour subvenir à ses besoins au lieu d’être nourri par les gens qu’il enseigne comme les autres apôtres. On interprète ça négativement : il ne fait pas comme les autres, c’est qu’il n’est pas un véritable apôtre. 

Paul explique alors qu’il est un véritable apôtre, qu’il aurait tout à fait le droit effectivement d’être soutenu au lieu de travailler en plus de son ministère, qu’il pourrait même emmener avec lui « une sœur en tant qu'épouse, comme le font les autres apôtres, les frères du Seigneur et Céphas » (v.5). Et que c’est même logique : «  11 Si nous avons semé pour vous les biens spirituels, serait-il excessif que nous moissonnions chez vous les biens matériels ? ».

Pourtant, Paul a choisi de ne pas user de ces droits. Pourquoi ? « Nous supportons tout, pour ne pas créer d'obstacle à la bonne nouvelle du Christ ». 

« 18. Quel est donc mon salaire ? C'est d'offrir gratuitement la bonne nouvelle que j'annonce, sans user réellement du droit que cette bonne nouvelle me donne.

19 Car, bien que je sois libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre. 20 Avec les Juifs, j'ai été comme un Juif, afin de gagner les Juifs ; avec ceux qui sont sous la loi, comme quelqu'un qui est sous la loi, afin de gagner ceux qui sont sous la loi — et pourtant moi-même je ne suis pas sous la loi ; 21 avec les sans-loi, comme un sans-loi, afin de gagner les sans-loi — et pourtant je ne suis pas un sans-loi pour Dieu, je suis lié par la loi du Christ. 22 J'ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver de toute manière quelques-uns. 23 Et tout cela, je le fais à cause de la bonne nouvelle, afin d'y avoir part ».

Pour Paul, il ne s’agit pas seulement de renoncer à une aide matérielle ou au mariage (ce qui n’est pas rien !) : il s’agit d’un état d’esprit général, dans ses relations avec les autres : « je me suis fait l'esclave de tous, dit-il, afin de gagner le plus grand nombre.

« Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver de toute manière quelques-uns ». 

Que signifie « se faire tout à tous» ? Paul est-il un dangereux prosélyte qui joue au caméléon pour se fondre dans tous les milieux afin de manipuler les gens et les amener à sa religion ? 

Non. Ce que Paul décrit ici, c’est plutôt l’attitude humble et pleine d’amour de quelqu’un qui cherche à rejoindre les autres là où ils sont, comme Dieu le fait. Ce Dieu qui depuis les origines cherche les femmes et les hommes pour les sauver. Ce Dieu qui vient à notre rencontre, qui s’abaisse, qui renonce à sa gloire divine pour se faire homme en Jésus et donne sa vie pour nous sauver de la mort -  sans attendre que nous rentrions dans ses exigences par nos propres forces, ce qui est mission impossible ! 

De la même façon, Paul se « fait tout à tous » en allant à la rencontre des autres tels qu’ils sont. 

« Avec les Juifs, j'ai été comme un Juif, afin de gagner les Juifs… ». 

Ancien pharisien, juif d’élite, Paul connait le point de vue de ces personnes. Leurs valeurs. Alors il va vers elles avec respect, ce qui implique à chaque fois de renoncer à quelque chose de ses propres habitudes et d’élargir son champ de vision, comme Mireille a dû le faire. 

Par exemple, en tant que chrétien, il pouvait manger de tout sans problèmes de conscience. Il l’explique dans le chapitre suivant. Mais comme les restrictions alimentaires étaient importantes pour les juifs, Paul se prive de certains aliments, pour ne pas les choquer. A quoi cela aurait-il servi ? Ils se seraient fermés, et jamais n’auraient pu recevoir l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. 

Paul s’est aussi fait « faible avec les faibles », lui qui était fort. Paul était un meneur d’hommes, il faisait partie de l’élite intellectuelle. Mais avec les plus faibles, il se dépouillait de tout cet attirail pour se retrouver faible, comme eux, pour écouter ce qu’ils avaient à dire, et que dans cette relation authentique et sans masques l’amour de Christ puisse les rejoindre. 

Comme Jésus, il s’est aussi fait « sans loi » avec les « sans loi », c’est-à-dire les païens, évitant tout comportement qui aurait pu le couper d’eux - par exemple refuser d’aller manger chez eux pour ne pas se « compromettre » avec leur culte des idoles. Jésus aussi allait manger avec des pécheurs, des collabos corrompus comme Zachée, et pourtant cette malhonnêteté devait le révolter, lui le Dieu saint. Mais il l’a fait par amour, pour le sauver. 

Et moi ? Vers qui suis-je envoyé ? Et qu’est-ce que je dois lâcher de mes exigences et élargir dans mon champ de vision pour permettre à ces personnes que Dieu aime de découvrir son amour ? 

Et dans l’Eglise, comment rejoignons-nous, comment accueillons-nous les personnes qui viennent ici chercher Dieu ? 

Reconnaissons-le : l’usage dans nos Eglises est plutôt de demander au « nouveau » de faire tout le chemin, de se faire « chrétien parmi les chrétiens », comme si c’était à lui de s’adapter à nos façons de faire. Apprendre nos chants, décrypter lui-même ce que signifie « l’agneau immolé nous a rachetés pour Dieu », trouver les pièces qui manquent dans son puzzle biblique, deviner qui sont les fameux « Benoit » ou « Fabienne » qu’il faut aller voir pour s’inscrire à « l’agape » (?!), etc. 

Bien sûr, chacun doit faire sa part. Mais à l’exemple de Mireille, à l’exemple de l’apôtre Paul, Dieu nous presse, nous commande - ce n’est pas une option - d’entrer dans son mouvement d’amour pour le monde, en cherchant à rejoindre l’autre là où il est plutôt que d’attendre qu’il fasse tout le chemin seul. 

Et il nous envoie à genoux, en « position basse » : qu’ai-je de plus que mon prochain non croyant, sinon que le pardon et l’amour de Dieu ont brillé sur mon chemin ? Qui suis-je pour exiger de l’autre qu’il s’adapte à moi ? Jésus me demande au contraire de me mettre à son service. Comme Paul qui s’est fait « l’esclave de tous ! ». C’est fort ! 

Peut-être que dans mon Eglise je considère avoir le droit d’être nourri spirituellement, de recevoir des enseignements qui correspondent à mes besoins propres, à la maturité spirituelle qui est la mienne. Et c’est juste. Mais jusqu’où suis-je prêt à entendre des choses que je connais déjà pour permettre à cette personne qui découvre la foi et qui a tant à découvrir d’avancer avec le Christ ? Et si je me mettais plutôt à son service pour faire le chemin avec elle, à son rythme ? 

Peut-être que je considère comme un droit de passer du temps avec mes amis à la sortie du culte. Et c’est juste ! Et c’est bon et bienfaisant ! Nous en avons besoin. 

Mais jusqu’où suis-je prêt à renoncer à ce droit pour accueillir celui qui ne connait personne et traîne autour des panneaux d’affichage en attendant qu’on vienne lui parler ? Et si je prenais du temps avec lui pour l’aider à s’intégrer et à connaitre des gens ? 

Si nous résistons aux commandements du Seigneur déjà au sein de l’Eglise… comment allons-nous faire en dehors, là où Dieu nous a placés et nous envoie ?! 

Oui c’est difficile ! Je vois bien que personnellement, je résiste à Dieu dans ce domaine. J’aime bien être en maîtrise, et me faire « l’esclave de tous » ne me fait pas rêver ! C’est difficile et cela demande des efforts et même de la discipline - Paul le dit dans les versets juste après : la discipline d’un athlète ! 

Sommes-nous convaincus qu’annoncer l’Evangile est une priorité qui justifie tous les efforts ? Convaincus comme Paul qui écrit ici, au verset 16 : « malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! » ? 

Notre tiédeur dans ce domaine vient peut-être du fait que nous ne croyons plus ces paroles de Jésus : « celui qui met sa foi dans le Fils a la vie éternelle ; celui qui refuse d’obéir au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ». (Jean 3.36). 

Paul le meurtrier n’oubliait pas, lui, de quoi Jésus l’avait sorti. 

Il était conscient que sans Christ, il était « mort à cause de ses fautes ». Il savait que cette mort spirituelle de celui qui est coupé de Dieu par ses péchés s’accompagnerait d’une « seconde mort », une mort éternelle  qui suit la mort physique, sans espoir de retour en arrière - car c’est dans cette vie que nous avons à reconnaitre notre révolte contre Dieu, que nous avons à nous en repentir pour accueillir le pardon offert par le Christ. Sans cette démarche personnelle sincère, nous restons dans la mort. Et « la colère de Dieu demeure sur nous ». 

Alors il fait tout son possible « à cause de la bonne nouvelle » , « pour ne pas créer d'obstacle à la bonne nouvelle du Christ », « afin d'en sauver de toute manière quelques-uns », « cherchant, non pas [son] propre intérêt, mais celui de la multitude, afin qu'elle soit sauvée ».

Je sais qu’un discours heurte nos oreilles post-modernes, et pourtant… c’est si important ! La conscience que les personnes autour de moi qui ne connaissent pas Christ ne sont pas juste sur un autre chemin tout aussi valable mais qu’elles marchent vers une mort plus grande encore que la mort physique - même si ce sont de très belles personnes - doit être un fardeau qui me pousse à partager ce que j’ai reçu. 

Et en même temps, je dois me souvenir que je suis comme elles - un être de blessures et de lumière, une femme ou un homme pour qui Jésus a donné sa vie par amour, un pécheur sauvé par grâce. « Qu’es-tu que tu n’aies reçu ? » dit Paul. Je n’ai rien de plus sinon un bonne nouvelle à partager, comme un mendiant indique à un autre mendiant où trouver un repas, un refuge. 

« Nous supportons tout, pour ne pas créer d'obstacle à la bonne nouvelle du Christ ». 

« Je me suis fait l'esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre ».

Qui Dieu m’appelle-t’il à servir, à aimer, à accueillir, à rejoindre ? 

Qu’est-ce que Dieu veut dire à ces personnes ? Me dire à travers elles ? 

Dans la prière, demandons à Dieu de nous parler et de nous conduire. 

Sylvain Guiton