Prédication du 9 février 2020 - Luc 6.37-45 - « Ne portez pas de jugement et Dieu ne vous jugera pas non plus ».



Connaissez-vous l’émission « bienvenue chez nous ? ". C'est de la télé-réalité : des propriétaires de gites et chambres d'hôtes sont mis en compétition, ils sont reçus à tout de rôle les uns chez les autres et se notent réciproquement, ce qui entraîne beaucoup d'hypocrisie - puisque les participants sont en même temps juge et partie, faisant bonne figure en public mais se descendant en flèche dans les apartés... 
Cette émission me semble tout-à-fait représentative de notre culture actuelle – mise en compétition de tous, évaluation mutuelle (système Uber, Airbnb…). Chacun est proclamé juge de tout et de tous – et que le dernier debout gagne ! 
Le système marchand fait tout pour donner l’impression aux consommateurs que nous sommes, que nous avons le droit de tout évaluer : les services, les produits, les gens... 
Mais s’agit-il d’évaluer… ou de juger ? La frontière mérite d’être reprécisée, car si une évaluation bien amenée peut aider quelqu’un à avancer, le jugement, lui, peut faire beaucoup de mal. 

Ce n’est pas pour rien que Jésus, sans détour, nous interdit toute forme de jugement. 

Luc 6.37-45
37 Ne portez pas de jugement et Dieu ne vous jugera pas non plus ; ne condamnez pas et Dieu ne vous condamnera pas ; pardonnez et Dieu vous pardonnera. 
38 Donnez et Dieu vous donnera : on versera dans la grande poche de votre vêtement une bonne mesure, bien serrée, secouée et débordante. La mesure que vous employez pour mesurer sera aussi utilisée pour vous. »
39 Jésus leur dit encore une parabole : « Un aveugle ne peut pas conduire un autre aveugle, n'est-ce pas ? Sinon, ils tomberont tous les deux dans un trou. 
40 Aucun disciple n'est supérieur à son maître ; mais tout disciple bien formé sera comme son maître. 
41 Pourquoi regardes-tu le brin de paille qui est dans l'œil de ton frère ou de ta sœur, alors que tu ne remarques pas la poutre qui est dans ton œil ? 
42 Comment peux-tu dire à ton frère ou à ta sœur : “Laisse-moi enlever cette paille qui est dans ton œil”, toi qui ne vois même pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite, enlève d'abord la poutre de ton œil et alors tu verras assez clair pour enlever la paille de l'œil de ton frère ou de ta sœur.
43 Un bon arbre ne produit pas de mauvais fruits, et un arbre malade ne produit pas de bons fruits. 
44 Chaque arbre se reconnaît à ses fruits : on ne cueille pas des figues sur des buissons d'épines et l'on ne récolte pas du raisin sur des ronces. 
45 Celui qui est bon tire de bonnes choses du bon trésor que contient son cœur, celui qui est mauvais tire de mauvaises choses de son mauvais trésor. Ce que dit la bouche, c'est ce qui déborde du cœur.


1.     Un point névralgique

« Ne portez pas de jugement » : Jésus ici ne parle pas des jugements prononcés dans les tribunaux, mais de la vie quotidienne, dans laquelle nous ne cessons, consciemment ou non, de formuler des appréciations définitives sur les gens, de leur coller des étiquettes, de les enfermer dans des catégories hiérarchiques – du « très sympa » au « insupportable », par ex. 
« Ne jugez pas ». Est-il possible de mettre cette parole en pratique ? Est-ce qu’il ne faut pas exercer son esprit critique, et même reprendre l’autre si nous le voyons dériver ? 
Nous, français, sommes très attachés à notre « esprit critique », n’est-ce pas ? 
Alors comment comprendre cette parole de Jésus ? 

Elle est assez importante, déjà, pour que Jacques et Paul, par ailleurs si différents, y fassent écho presque avec les mêmes mots. « Qui es-tu pour juger ton prochain ? », écrit Jacques (4, 12). « Qui es-tu pour juger un serviteur d’autrui ? » dit Paul (Romains 14, 4).

C’est qu’on touche ici à un point névralgique de notre vie affective et spirituelle. 
Quelque chose de vital pour notre relation avec les autres, et aussi notre relation avec Dieu, comme le suggère l’expression de la réciprocité : « Ne portez pas de jugement et Dieu ne vous jugera pas non plus ; ne condamnez pas et Dieu ne vous condamnera pas ; pardonnez et Dieu vous pardonnera ». .
On retrouve ici quasiment tel quel, le Notre Père : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». 

Jésus établit à chaque fois un lien entre nos relations avec les autres et nos relations avec Dieu. Quand je juge l’autre, que je le condamne, j’impacte ma relation à Dieu car en jugeant, je me mets à la place de Dieu, qui est le seul vrai juste juge. Je lui résiste, en somme… comment alors son amour pourrait-il remplir mon cœur, si celui-ci est fermé ? 
« Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour », dit Jean (1 Jn4.8).

Mais si nous renonçons à juger, comme Jésus nous le demande, alors le St Esprit pourra renouveler nos relations avec les autres, avec le Seigneur, et aussi avec nous-mêmes. 

2.     Une question de regard

Pourquoi juger est-il si nocif ? D’abord par cela nous aveugle
Ce n’est pas un hasard si le thème du regard est très présent dans les versets 39 à 42 : Jésus y parle d’aveugles qui guident d’autres aveugles – et qui, ne voyant pas les pièges, y tombent. 
Jésus emploie aussi la fameuse image de la paille et de la poutre. Celui qui juge regarde la paille dans l’œil de l’autre, ce qui le rend aveugle sur la poutre qu’il a lui-même. 
Image géniale, amusante, éloquente ! 

Le thème du regard est également présent, plus discrètement, dans l’image de l’arbre : « on reconnaît l’arbre à ses fruits ». C’est aussi une question de jugement : quel arbre est-ce là ? Parfois un regard superficiel peut faire croire que l’arbre est un pommier alors que c’est un cognassier, par ex. 
De même, je peux coller l’étiquette « arbre toxique » à quelqu’un alors que c’est au contraire un excellent arbre fruitier. 

Mais pour identifier un arbre, il faut savoir bien regarder, et quoi regarder ; les fruits, en l’occurrence. Ce qui signifie, pour un homme, discerner l’état d’un cœur en regardant ce que produisent les actions et les paroles de quelqu’un. 
« Ce que dit la bouche, c'est ce qui déborde du cœur ».

 « L’homme regarde à ce qui frappe les yeux, dit l’Ecriture, mais l’Eternel regarde au cœur ». 
Nous ne pouvons regarder au cœur, comme l’Eternel, et pourtant, nous croyons être en mesure de juger les autres, comme lui. 
Avec ce paradoxe qu’en nous croyant capables de juger – donc de voir clair sur l’autre – nous nous aveuglons nous-mêmes !  Alors nous jugeons mal, et nous faisons du mal en jugeant ! 

3.     Un jeu de miroirs destructeur

« La mesure que vous employez pour mesurer sera aussi utilisée pour vous. »
Le jugement peut aussi nous entraîner dans un jeu de miroirs destructeur. 

En effet, dès que je commence à considérer l’autre négativement, mon regard change sur lui, et cela casse la relation. Surtout si mon jugement est infondé, basé sur des rumeurs ou des craintes. 
Un ami me raconte par exemple, que B aurait dit du mal de moi derrière mon dos… la colère monte et je condamne le fameux B : quel hypocrite ! Du coup, je commence à le voir comme un hypocrite, je n’ai plus confiance. B va le sentir, et se mettre en position défensive lui aussi, dans un jeu de miroir néfaste… 
Je me retrouve jugé de la même façon que j’ai jugé. 

Notre relation est alors coupée et on imagine difficilement qu’elle puisse s’améliorer si quelqu’un n’arrête pas la machine. 

Comment ? Il faut que quelqu’un renonce à juger, pour entrer à nouveau dans une relation franche, une relation de dialogue et de vérité. 

Ainsi, sans renoncer à juger, il nous impossible de voir clair, et d’aimer les autres. 

4.     Jugement et évaluation

Oui mais… est-ce qu’il n’est pas nécessaire quand même de juger un peu, pour ne pas se faire avoir ? Pour éviter les pièges, prendre les bonnes décisions ? 
La Bible elle-même ne nous invite-t’elle pas à avoir « les sens exercés à discerner le bien et le mal »  (Héb. 5:14), à « examiner toutes choses et reten(ir) ce qui est bon » (1 Thes 5.21) ?
Est-ce qu’il ne faut pas parfois juger notre prochain pour son bien, pour qu’il apprenne et qu’il progresse ? 

Ne confondons pas, ici, juger et évaluer. Dans le texte grec original, les termes sont bien distincts et nous amènent à bien distinguer le jugement que l’on prononce sur des idées ou des actions, et celui qu’on prononce sur des personnes. 

Ainsi, quand Paul invite les Thessaloniciens à « examiner toutes choses », il leur dit littéralement « testez, faites une évaluation, une analyse ». Il ne s’agit pas de tout approuver sans discernement, mais de chercher à apprécier avec exactitude des paroles, des événements, des idées ou même des personnes, mais dans une évaluation à but positif : retenir ce qui est bon.  
De même, Jésus n’invite pas non plus à fermer les yeux. Car aussitôt après avoir dit de ne pas juger, il continue : « Un aveugle peut-il guider un aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou ? » (v.39). Jésus dénonce donc les guides incapables : il faut bien les identifier – et ici, il vise les chefs religieux de son temps, qui croient détenir un savoir sur Dieu alors que leur cœur lui est fermé. 
Mais son regard sur eux n’est pas une condamnation définitive, contrairement à ce que le mot grec traduit par « juger » ici exprime : juger, c’est « choisir en séparant, en coupant » l, et donc écarter quelqu’un en décrétant qu’il est mauvais – globalement, irrémédiablement mauvais. 
Ce mot grec est à la racine par ex. de discrimination.

En somme, si une saine évaluation des choses et des gens est nécessaire, il ne faut pas cependant tomber dans des jugements qui coupent les relations, et même enferment les autres dans la cellule de notre avis sur eux, sans possibilité de défense ni espoir de sortie. 
« Celui-là, il est incapable d’assumer une responsabilité ». « C’est un mauvais orateur ». 

Contre cette attitude de fermeture, Jésus invite à la générosité, à l’ouverture : « pardonnez et Dieu vous pardonnera. Donnez et Dieu vous donnera : on versera dans la grande poche de votre vêtement une bonne mesure, bien serrée, secouée et débordante. La mesure que vous employez pour mesurer sera aussi utilisée pour vous. »

Le verbe grec traduit par « pardonner » signifie justement « relâcher, renvoyer libre ». C’est faire grâce et donner, généreusement. Car on reçoit ce qu’on donne, on récolte ce qu’on sème. 

« Ne portez pas de jugement et Dieu ne vous jugera pas non plus ; ne condamnez pas et Dieu ne vous condamnera pas ; pardonnez et Dieu vous pardonnera. Donnez et Dieu vous donnera »… On peut être surpris par ce côté « donnant/donnant » avec Dieu. Bien sûr nous ne serons sauvés que par notre foi en Jésus, pas de « salut au mérite » ici. 

Cette expression nous invite simplement à agir avec les autres comme Dieu agit avec nous, lui qui nous « évalue » en nous montrant notre péché, mais sans nous enfermer dedans, sans nous réduire à notre faute, et en faisant tout pour que nous puissions en être libéré – allant jusqu’à la croix pour cela. 

Quelqu’un a dit : « Les vrais regards d’amour sont ceux qui nous espèrent ». 
Voilà comment Dieu nous regarde. Faisons de même avec les autres. 


5.     Le jugement, symptôme d’un cœur malade

Mais au fond, pourquoi jugeons-nous ? Parce que nos cœurs sont malades, suggère Jésus ici, et il nous invite à aller plus loin que le « juger c’est mal » pour descendre avec lui en nous-mêmes, afin qu’il nous montre nos maladies spirituelles secrètes –  et qu’il les guérisse ! 

Qu’il nous libère de la jalousie, par exemple, dont Jésus dit ailleurs qu’elle rend « l’œil malade ». Quand j’admire mon prochain pour ses qualités mais qu’en même temps, il me rend jaloux, mon œil devient mauvais. Je ne vois plus la réalité telle qu’elle est, et il peut même m’arriver de juger l’autre pour un mal imaginaire qu’il n’a jamais fait ! 

Que Jésus nous libère aussi de la peur : combien de fois nous nous servons des fautes des autres pour nousrassurer sur nos propres qualités ! En rabaissant l’autre, j’ai l’impression de m’élever un peu, et j’évite de faire face à mes propres problèmes. Mais la sévérité de mon jugement ne fait peut-être que cacher ma propre insécurité et ma peur d’être jugé. Jésus veut me libérer de cette crainte, lui qui ne me juge pas ! 

En somme, non seulement juger ne peut pas nous aider à aller mieux, mais en plus nous fait du mal et peut nous amener à devenir quelqu’un que nous ne voulons pas être. 


6.     Le chemin de la repentance et du pardon. 

Jésus nous invite donc à nous remettre à lui pour sortir de ce piège du jugement. Jésus, qui nous annonce ici la bonne nouvelle de la grâce : « Dieu ne vous jugera pas » ; « Dieu vous pardonnera ». 
 « Moi, dit Jésus ailleurs, je suis venu dans le monde comme la lumière, afin que quiconque croit en moi ne reste pas dans l'obscurité… je ne suis pas venu pour juger le monde mais pour le sauver » (Jean 12.46-47) 

En Jésus, Dieu nous fait grâce de nos jugements injustes. 
Jésus est venu donner sa vie pour effacer toutes les condamnations, ouvrir toutes les prisons . 

Comme vous sans doute, je ne compte plus le nombre de fois où je me suis trompé sur le compte de quelqu’un ! 
Récemment encore, Dieu m’a montré que j’étais en train d’enfermer des personnes dans la prison de mes jugements injustes, et que cela desséchait mon cœur et m’empêchait d’y voir clair. 

Il me l’a montré, mais sans m’enfermer dans la culpabilité. 
Il veut guérir nos cœurs, et soigner nos regards, faire de nous des personnes bienveillantes, généreuses, qui encouragent les autres. Mais il nous faut nous repentir, demander pardon, et décider résolument de changer, par amour pour Dieu, et par la force de son Esprit. 

« Les vrais regards d’amour sont ceux qui nous espèrent ».
Voulons-nous regarder les autres avec un regard positif, qui espère dans leur possibilité de changer – ou bien continuerons nous à les tenir enfermés dans nos critiques ? 


Y a-t’il quelqu’un que j’ai enfermé dans mon jugement ? 
Je demande au Seigneur de me le montrer. 
  

Prière : Seigneur, je reconnais devant toi que j’ai jugé … Je te demande pardon d’avoir enfermé mon frère, ma sœur dans mes jugements, d’avoir pensé, ou dit du mal d’elle. C’est toi le seul juge et je te remets tous les sentiments négatifs que je porte envers cette personne, ces personnes. 
Merci d’avoir pris sur toi mon jugement, et de m’ouvrir tes bras. 
Dans ta grâce, veuille ouvrir mes yeux, mon cœur et mon esprit afin que je puisse voir et saisir ta vérité, qui change la vie. Donne-moi de voir mon prochain comme tu le vois, et de l’aimer. 
Prends soin de moi, tu connais mes blessures, mes amertumes, mes colères. Tu sais ce que je ressens, ce que je pense. 
Par la force de ton Esprit, je veux maintenant encourager, soutenir, valoriser les autres, entrer dans une démarche active de pardon, et être généreux envers tous, comme tu l’es envers moi. 
Fais de moi une bénédiction pour les autres. 
Au nom de Jésus
Amen 
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Questions pour le partage en groupe 


Relisez le texte puis arrêtez-vous sur les versets 41 et 42 : comment les interprétez-vous ? 

Pensez-vous que le jugement soit un réel problème autour de vous aujourd’hui ? 

Avez-vous souffert, dans votre vie, d’être enfermé dans le jugement de quelqu’un ? Comment avez-vous réagi ? Êtes-vous parvenu à faire évoluer ce jugement porté sur vous ? 

Comment abordez-vous la différence entre « évaluer » et « juger » dans vos relations avec les autres ? 

Quelles raisons profondes peuvent nous pousser à juger les autres ? 
Comment le Seigneur peut-il nous aider à évoluer dans ce domaine ? 

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