Prédication du 1er décembre 2019 - Lamentations 3. 1-33 ; 40-41 - Traverser les murs (S. Guiton)

Parfois, nous sommes en train de rouler paisiblement sur l’autoroute de la vie, lorsque soudain, un mur se dresse devant nous, incontournable. Et c’est le choc. 

Il y a des murs de toutes sortes. Fréderic a abordé le sujet il y a quelques semaines. Nous perdons un proche. Nous perdons notre emploi. On diagnostique une maladie grave. Nous subissons une agression, un divorce. Ou bien c’est une relation compliquée, un ado qui va mal, la découverte d’un secret inavouable…

Pour le peuple d’Israël, le mur se dresse lorsque en 586 av. JC., les troupes babyloniennes déferlent de l’horizon pour assiéger Jérusalem. Les chefs d’Israël ont décidé de se rebeller contre eux, et de ne plus payer les impôt que Babylone leur réclame. Alors le roi Nabuchodonosor lui-même, à la tête de ses troupes, vient pour les châtier. 
On redoutait que cela arrive. L’alliance contractée avec l’Egypte allait-elle protéger la ville sainte ? Les prophètes affirmaient que non. Il fallait plutôt renoncer aux idoles, revenir vers le Dieu vivant, compter sur lui.
Mais ils n’étaient pas écoutés. 

Alors les Babyloniens sont venus. Deux ans durant, ils assiègent Jérusalem, puis la ville est entièrement détruite. On assiste à des scènes d’horreur. 

Les survivants sont déportés à des centaines de kilomètres de là, à Babylone, laissant derrière eux les décombres fumants de leur ville, de leurs vies, de leurs illusions. 
Le peuple d’Israël vient de se fracasser sur un mur, avec ses rêves, les promesses qu’il avait reçues de Dieu, son avenir… Un mur qui semble infranchissable : le Temple, la maison de Dieu, est désormais en ruine, ce qui pour les juifs signifie que le contact avec Dieu est rompu.

Un homme assiste à tout cela, dans les larmes : c’est l’auteur du livre des Lamentations, que la tradition identifie comme étant le prophète Jérémie. Suivons la ce matin. 

Et lisons le troisième chapitre. 

1. Je suis l’homme qui a connu la misère sous les coups furieux du Seigneur.
2. Il m’a poussé devant lui, il m’a fait marcher non dans la lumière mais dans le noir.
3. C’est sur moi seul qu’il continue à porter la main tous les jours.
4. Il m’a fait dépérir de la tête aux pieds, il m’a brisé les os.
5. Il a dressé autour de moi comme un mur d’amertume et de peine.
6. Il m’a relégué dans l’obscurité comme les morts du passé. 
7. Il m’a emmuré pour m’empêcher d’en sortir, il m’a chargé de chaînes.
J’ai beau crier au secours, il fait obstacle à ma prière.
8. Il m’a barré la route avec des blocs de pierre et engagé sur une fausse voie. 
9. Il a été pour moi un ours en embuscade, un lion tapi dans le fourré. 
10. Il m’a rendu la vie impossible, il m’a paralysé et laissé sans voix.
11. Il a tendu son arc et m’a pris pour cible.
14. Tout le monde rit de moi, tous les jours on me ridiculise.
15. Il m’a fait boire tout mon soûl d’amertume et m’a enivré de mélancolie.
16. Il m’a obligé à croquer des cailloux et m’a piétiné dans la poussière.
17. J’ai été privé d’une vie paisible, j’ai oublié ce qu’est le bonheur.
18. Je le dis : je n’ai plus d’avenir, je n’attends plus rien du Seigneur.
19. Je suis errant et humilié ; y penser est un amer poison pour moi. 
20. Je n’en peux rien oublier et je reste accablé.
21. Mais voici ce que je veux me rappeler, voici ma raison d’espérer : 
22. Les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées, il n’est pas au bout de son amour.
23. Sa bonté se renouvelle chaque matin.
Que ta fidélité est grande, Seigneur.
24. Je le dis : le Seigneur est mon trésor, voilà pourquoi j’espère en lui. 
25. Le Seigneur est bon pour qui compte sur lui, pour qui se tourne vers lui. 
26. Il est bon d’espérer en silence la délivrance que le Seigneur enverra.
27. Il est bon pour l’homme d’avoir dû se plier à des contraintes dans sa jeunesse.
28. Qu’il s’isole en silence quand le Seigneur lui impose une épreuve ! 
29. Qu’il s’incline, la bouche dans la poussière, dans l’espoir que le Seigneur intervienne ! 
(…)
31. Car le Seigneur n’est pas de ceux qui rejettent pour toujours. 
32. Même s’il fait souffrir, il reste plein d’amour, tant sa bonté est grande. 
33. Ce n’est pas de bon cœur qu’il humilie et qu’il faut souffrir les humains. 

40. Examinons de près notre conduite et revenons au Seigneur. 
41. Prions de tout notre cœur, en levant les mains vers Dieu qui est dans les cieux. 



On aime citer les versets 22-23 : « Les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées, il n’est pas au bout de son amour. Sa bonté se renouvelle chaque matin », mais leur véritable sens apparaît dans ce contexte : avant d’arriver à dire cela, Jérémie a dû traverser trois chapitres de « lamentations ». 
Au final, il semble bien l’avoir traversé, le mur : il reparle d’espérance, de l’amour de Dieu. 
Comment est-il passé de l’autre côté ? 

On devine que cela a impliqué un long chemin intérieur, à travers le deuil, la souffrance, la plainte et le silence – un chemin douloureux mais qui a conduit à une nouvelle rencontre avec Dieu. 

La plainte : à cœur ouvert devant Dieu

Quelqu'un a dit : « c’est au pied du mur… qu’on voit le mieux le mur !". Mais ce n’est pas toujours vrai. Quand un malheur survient, pas facile de le regarder en face. On ne peut pas y croire. Ce n’est pas possible. Ca n’arrive qu’aux autres. 
Pour les Israélites, la destruction de Jérusalem est incroyable, d’où le cri qui ouvre le livre des Lamentations, un mot hébreu qui signifie : « quoi ? Comment est-ce possible ? ».
Devant l’horreur, au début, il n’y a que cela : la stupéfaction : « Mais Seigneur, tes promesses ?! Mais Seigneur, tes engagements ? …

Sans doute Jérémie a dû passer par une période de mutisme, de sidération. Dans notre culture, c’est valorisé ; se plaindre quand on souffre est mal vu. Il faut se taire, alors les gens disent : « qu’est-ce qu’il est courageux ». 
Mais dans la culture hébraïque, le chemin du deuil passe par des lamentations, par des larmes abondantes. On paie même des pleureuses professionnelles pour les obsèques ! 
Et on dit en effet que les larmes sont un don, elles ouvrent une petite brèche dans le mur, pour un retour vers la vie. 

Alors Jérémie se lamente sur Jérusalem, sur le peuple massacré, le pays détruit. Et il le fait à cœur ouvert devant Dieu. 

Ce qui frappe dans ce passage, c’est sa violence. Sa franchise. 
Si l’un d’entre nous disait ne serait-ce que la moitié des paroles de Jérémie ici, je crois qu’on serait stupéfaits, et même terrifiés. On crierait au blasphème, peut-être. On dirait : « Il perd la foi ! ». 

Il y a une « langue de bois » chrétienne, qui interdit la franchise ; elle est nocive parce qu’elle nous coupe d’une relation authentique avec les autres et avec Dieu. Nous risquons de retourner nos émotions négatives contre nous-mêmes, et c’est destructeur.

Frappé par le malheur, Jérémie, lui, commence par laisser libre cours à ses émotions. 
Il est en véritédevant Dieu. Qui es-tu, Seigneur ? Un sadique? Un lion ? Un assassin qui prend plaisir à tirer sur les gens ? Pourquoi nous fais-tu ça ? 

En inspirant ces paroles de Jérémie, Dieu nous autorise, nous invite même à lui dire ce que nous ressentons et à l’interpeler – à lui dire même que nous sommes en colère contre lui, que nous ne le comprenons pas, que ce n’est pas juste ! 

Y a t’il une souffrance, une colère, une émotion que je n’ai pas encore osé exprimer devant Dieu ? Je prends le temps de lui dire tout ce que je ressens. Je peux me laisser porter par ce texte, ou par un Psaume , ou le livre de Job, pour le faire. 


Entrée dans le silence

Il y a des personnes que le malheur laisse bloqués sur la plainte. Jérémie, lui, n’en reste pas là. Sa plainte débouche sur le silence. 

« Il est bon d’espérer en silence la délivrance que le Seigneur enverra.
27. Il est bon pour l’homme d’avoir dû se plier à des contraintes dans sa jeunesse.
28. Qu’il s’isole en silence quand le Seigneur lui impose une épreuve ! 
29. Qu’il s’incline, la bouche dans la poussière, dans l’espoir que le Seigneur intervienne ! 

Comment comprendre ce silence ? Est-ce de la résignation ? Du désespoir ? 

Le silence de Jérémie est un silence habité, un silence tout entier tendu vers Dieu. 
Un couple qui a vécu la perte d’un enfant me disait récemment que dans ce drame, ils ne pouvaient plus parler, mais ils s’étaient accrochés à Dieu comme à une bouée. Une seule chose les tenait : si on lâche Dieu, on est perdus. 

Tel est le silence de Jérémie. Plein d’une attente confuse, d’un cri, d’un appel à Dieu. Jérémie est au-delà des « pourquoi », au-delà de la culpabilité. Il n’a plus que cela : attendre la délivrance que le Seigneur enverra. 
Ce type de silence là est bon, car il nous rend disponibles à Dieu. 

De l’humiliation à l’humilité

Ce silence est aussi celui de quelqu’un qui a compris son impuissance face à l’épreuve. Celle-ci a fait voler en éclat l’illusion de la maitrise, du contrôle. On croyait tenir le volant mais ce n’est pas le cas. 
On se retrouve soudain à genoux, « la bouche dans la poussière » - et c’est dur à vivre. 

C’est une humiliation. Difficile de se voir incapable de comprendre ce qui nous arrive… incapables de toucher le cœur de quelqu’un… incapables de trouver une solution à un problème… incapable de protéger ceux qu’on aime…

Mais Dieu peut nous faire passer par là, pour traverser le mur. D’une certaine manière, j’ose le dire, se découvrir impuissant peut être un cadeau de Dieu car c’est seulement à travers des gens impuissants que Dieu peut faire des miracles. Paul dit ainsi que sa force est dans sa faiblesse, qui permet à Dieu d’agir. 

En secourisme, on sait qu’une personne qui se débat peut difficilement être sauvée. De la même façon, il nous faut cesser de nous débattre avec Dieu. Il nous faut faire silence, lâcher prise, nous abandonner au Seigneur pour lui permettre d’agir, de nous sauver.

« Il est bon d’espérer en silence la délivrance que le Seigneur enverra ».

Le silence de la repentance

Ce silence patient doit aussi un temps d’auto examen : de quoi ai-je besoin d’être purifié, pour m’approcher davantage de Dieu ? Est-ce que Dieu me montre quelque chose, dans cette épreuve ? 
 « Examinons de près notre conduite », dit ainsi Jérémie, « et revenons à Dieu ». 
Ainsi Israël doit comprendre que ce sont ses infidélités, son manque de foi et ses manœuvres pour s’en sortir tout seul, qui l’ont précipité dans le mur. Qu’il revienne à Dieu, repentant, et le Seigneur se révélera à lui avec plus proximité encore, car il est fidèle, il fait grâce. 

Le silence de l’écoute et de la méditation

Il est fidèle : c’est une promesse que Jérémie redécouvre aussi dans ce temps de silence : 
31. … le Seigneur n’est pas de ceux qui rejettent pour toujours. 
32. Même s’il fait souffrir, il reste plein d’amour, tant sa bonté est grande. 
33. Ce n’est pas de bon cœur qu’il humilie et qu’il faut souffrir les humains. 

Peu à peu, les Israélites n’avaient gardé de la Parole de Dieu que ce qui les arrangeaient, pour se faire un Dieu à leur convenance, docile comme les idoles qu’ils adoraient dans le Temple au lieu d’aimer Dieu.
Ca les a conduit au drame de l’exil.  
Pour nous aussi, il y a des risques à ne pas écouter Dieu, à laisser les bruits du monde, le bruit de nos esprits surchargés, de nos portables… couvrir sa voix. Du danger à se contenter d’un verset ici ou là, « pour se faire du bien ». Une barre de céréales n’est pas un vrai repas, cela ne rend pas assez fort pour relever les défis d’une vie de disciple dans le monde. 



Alors exerçons-nous à faire silence au milieu de nos vies chargées, à nous isoler avec notre Bible, pour prier, car c’est « bon » pour nous. C’est même vital ! Comment peut-on prétendre aimer quelqu’un qu’on n’écoute jamais et qu’on ne fréquente qu’une heure et quart par semaine ?! 

Un chemin de résurrection

On dit que pour vivre de belles résurrections, il faut de vrais enterrements. 

Au cours de ce chemin de deuil et d’abaissement douloureux, Dieu a produit en Jérémie une véritable résurrection. Il a dû enterrer des illusions, des prétentions, mais le voilà avec un cœur renouvelé, à nouveau capable de dire, avec une profondeur nouvelle : « « Le Seigneur est mon trésor, voilà pourquoi j’espère en lui » ; « il n’est pas au bout de son amour ».

L’épreuve peut nous permettre de redécouvrir cet essentielDerrière le mur, il y a Dieu, plus proche encore. Dieu qui travaille à nous rapprocher toujours plus de lui, face à face, cœur à cœur. Rien que Dieu, notre seul trésor, notre seul secours, rien que Jésus, notre seule espérance, notre ami, notre frère, notre roi. 

Alors, si parfois, nous restons bloqués devant certaines murailles, si le souvenir des douleurs passées nous fait appréhender celles qui pourraient se dresser encore devant nous, soyons assurés que Dieu ne nous juge pas pour cela. Il comprend, il est patient, et fidèle. Il ne nous laissera pas. 

Même si nous nous sentons impuissants et bloqués devant un mur, il  nous reste toujours le choix de croire : crier vers le Seigneur, pleurer sur son épaule, nous accrocher à lui comme à une bouée, comme à un ami, comme à un guide – pour qu’il nous conduise, à petits pas lents, à travers les murs qui se dressent devant nous. 

« Les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées, il n’est pas au bout de son amour.
Sa bonté se renouvelle chaque matin ».

Que cette parole soit un soutien pour nous cette semaine, dans notre couple, notre famille, notre travail, notre Église. 

Amen

Sylvain Guiton

Questions

Y a t’il une souffrance, une colère, une émotion que je n’ai pas encore osé exprimer devant Dieu ? Je prends le temps de lui dire tout ce que je ressens. Je peux me laisser porter par ce texte, ou par un Psaume pour le faire. 

Quel est le mur contre lequel je me heurte aujourd’hui ? Je cesse de m’agiter, et je prends le temps de faire silence devant Dieu pour regarder ma situation en face. Je lui demande de me secourir, de me guider, de me montrer ce qui me retient bloqué au pied du mur. 

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