Prédication du dimanche 28 janvier 2018 Le dépouillement par goût de Dieu « Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux » Matthieu 5.1-10

En ce jour de 1206, le jeune François se tient devant un tribunal religieux que l’évêque d’Assise, en Italie, a rassemblé sur la place de la ville. Dans le rôle de l’accusateur, le père de François, un riche marchand furieux que son fils refuse de reprendre ses affaires pourtant florissantes, et qu’il dilapide son argent en le donnant aux pauvres ou à l’Eglise.
Dans sa colère, ce père a fait appel à la justice et veut déshériter son fils. Il y un instant, le marchand était furieux, virulent… mais maintenant, il se tient silencieux, stupéfait. Comme l’évêque, les jurés, et même toute la foule rassemblée sur la place. 
Car devant eux, François est nu. 
A l’énoncé des chefs d’accusation, il a doucement déposé sur le sol tout l’argent qui lui restait, puis a enlevé un à un ses vêtements qu’il a aussi laissé à terre. Par ce geste, il exprime non seulement qu’il abandonne son héritage, mais aussi qu’il renonce radicalement à la vie qu’il a menée jusqu’alors, pour la consacrer entièrement au service des autres et de Dieu. 
Désormais, François d’Assise suivra, sur un chemin de dénuement et de service, celui qui pour lui s’est dépouillé le premier - de sa gloire divine, de son statut de roi, de sa vie même : Jésus-Christ. 

Ce Jésus-Christ qui enseignait ceci : Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux. »
Lisons ces paroles dans leur contexte, au début de l’Evangile de Matthieu. 

« La renommée de Jésus se répandit dans toute la Syrie. On lui amenait tous ceux qui souffraient, en proie à toutes sortes de maladies et de tourments - démoniaques, lunatiques, paralytiques - et il les guérit. De grandes foules le suivirent, de la Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de la Judée et de la Transjordanie. 
Voyant les foules, il monta sur la montagne. Quand il se fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui. Puis, ayant ouvert la bouche, il les enseigna, disant : 
Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux.
Heureux les doux car ils hériteront la terre.
Heureux les affiliés car ils seront consolés.
Heureux les coeurs purs car ils verront Dieu.
Heureux les miséricordieux car il leur sera fait miséricorde. 
Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux les persécutés pour la justice car le Royaume des cieux est à eux ».

Prière : « Que l’Esprit de Dieu repose sur nous et qu’il nous donne de recevoir ces paroles du Christ comme des paroles nouvelles pour illuminer nos vies ».

« Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux ».
La vie du riche François d’Assise a été transformée par ces mots. 
Et nous ? Comment les recevoir et les vivre, ces paroles étonnantes, détonnantes ?

Si pour être un vrai disciple de Jésus, il faut aller aussi loin que François d’Assise… alors il y a peu de vrais disciples ! 
Comment comprendre ces paroles à la fois sages dans leur profondeur mystérieuse, et folles dans leur radicalité ? 

Sans vouloir ternir le moins du monde la beauté du parcours de François d’Assis, il semble bien cependant que la pauvreté évoquée  par Jésus dans la première Béatitude ne soit pas d’abord la pauvreté matérielle : Jésus ne dit pas aux pauvres qu’ils doivent se réjouir d’être pauvres ; et en effet, je ne crois pas qu’il y ait un bonheur particulier à vivre dans la précarité, avec tout ce que cela implique de difficultés et d’inquiétudes ? 
Jésus ne dit pas « vous êtes heureux, vous, les pauvres » mais s’adresse ici, de façon ouverte, aux disciples, à la foule, en utilisant la 3e personnes - « heureux les pauvres » - ce qui laisse à chacun la liberté d’écouter ou pas, de se reconnaitre ou pas dans ces paroles - qu’il soit pauvre matériellement ou non.
Ensuite, Jésus parle ici d’un bonheur à la fois déjà accessible - « la royaume des cieux est à eux », dit-il, et encore à venir : « un bonheur vers lequel on tend, vers lequel on oriente sa vie, vers lequel on se dirige tout au long de ses jours ». Un bonheur qu’on espère. 
Enfin, c’est un bonheur qui n’est pas pour les pauvres en général, mais pour « les pauvres en esprit », dit Matthieu. Ce détail a du poids. 
Les « pauvres en esprit » ne sont pas des « pauvres d’esprit », des « simples d’esprit », de ceux qui ont moins de capacités intellectuelles ! 

Alors qui sont-ils précisément ? Jésus ne le dit pas. Mais sa vie toute entière nous aide à le comprendre. 
Qui a connu le dépouillement et la pauvreté volontaire mieux que Jésus ? 
Lui, le Dieu de toute éternité, qui a choisi de « s’abaisser lui-même », comme dit Paul aux Philippiens, en naissant bébé dans une étable. Lui qui, venu les mains vides, par obéissance à son Père et dépendant de lui en toutes choses, n’avait même pas "un lieu où reposer sa tête », et« de la paille de Bethléem jusqu’à la nudité de la croix », et qui « n’a véritablement rien possédé et n’a rien cherché à posséder ». 
Paul souligne ce fait en 2 Corinthiens 8.9 : « vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ : lui qui était riche, il s'est fait pauvre à cause de vous, pour que, vous, par sa pauvreté, vous deveniez riches ». 
Jésus serviteur de tous, humble parmi les humbles, pauvre parmi les pauvres, est le modèle par excellence du « pauvre en esprit ». Pauvre matériellement, mais surtout intérieurement. Humble et dépendant de son Père en toutes choses, dépouillé de lui-même au point de se laisser exécuter sur une croix par amour pour nous. 

Ainsi, on comprend que le pauvre est esprit dont il parle est celui qui a un esprit de pauvre, un esprit de « petitesse ». L’esprit de celui qui place humblement sa confiance en Dieu, même si sa loyauté entraîne l’oppression et le dénuement matériel. L’Ancien Testament nomme ces personnes les « doux » ; elles se distinguent des « méchants » qui s’opposent à Dieu avec arrogance et orgueil, comme dans ces paroles du prophète Sophonie  : « à ce moment-là, j'enlèverai de chez toi tous ces gens qui rient avec orgueil, et tu arrêteras de te vanter sur ma montagne sainte. Je laisserai parmi vous uniquement les gens simples et pauvres. Ils trouveront en moi une protection » (3.11-12).

Reconnaissons-le, le modèle du « Jésus simple et pauvre » est peu valorisé dans les milieux évangéliques. Nos chants préfèrent évoquer le Jésus ressuscité, glorifié, élevé au dessus de toute création et agissant aujourd’hui avec puissance par son Esprit Saint. Tout cela est juste ! 
Mais nous qui ne sommes pas Dieu, qui n’avons pas été ressuscités et glorifiés, nous sommes d’abord invités à suivre l’exemple de dépouillement et de pauvreté volontaire, qu’il nous a laissé. 

Car l’un des grands secrets de la vie spirituelle, c’est que Dieu révèle son amour aux petits, pas aux puissants. C’est qu’il y a des attitudes de coeur qui nous ouvrent à l’amour de Dieu, à son amour, et nous rendent de plus en plus réceptifs à sa présence et son action, et des attitudes de coeur qui nous ferment à sa grâce.
Voilà pourquoi les « pauvres en esprit » peuvent être déclarés « heureux parce que le Royaume de Dieu est à eux ». 
Voilà pourquoi il nous faut tous devenir ces pauvres en esprit, ces pauvres de coeur - en cultivant cet état d’esprit dans lequel on se connait dans ses limites, sans orgueil ni dévalorisation malsaine, et on est heureux de dépendre de Dieu et on apprend à tout recevoir de sa main. 
Et cela, quelle que soit notre situation financière ! Car en réalité, ce n’est pas posséder beaucoup, ou peu, qui importe le plus ici. On peut être pauvre et avoir un coeur de riche, obsédé par l’argent qui nous manque et dont on rêve ! Et on peut être à l’aise financièrement, et considérer l’argent sur nos comptes comme un don de Dieu fait non pour notre seul usage mais pour être partagé, pour être source de bénédiction pour les autres, source de fertilité pour l’oeuvre de Dieu. 
D’ailleurs, même avec peu de moyens financiers on peut être riche d’autre chose : de relations, d’amour… riche d’une vie de famille unie, riche d’une vie de couple épanouie, riche de dons et de capacités particulières. Riche même de notre expérience de la vie, de nos épreuves, comme Paul disait l’être. 
La pauvreté en esprit, ici, ne consistera pas à se considérer comme dépourvu de tout don - « oh, moi, je ne sais pas faire grand chose… » - , mais chaque jour, simplement, faire le bien qui dépend de nous, l’accomplir avec courage et générosité en nous appuyant toujours sur le Seigneur ; sans regarder nos limites mais en comptant sur Dieu. 
Ce n’est pas simple… car dès que l’on possède quelque chose, on est tenté de s’appuyer dessus pour avancer. Parce que oui, des moyens financiers permettent de meilleures études, une meilleure santé, moins d’appréhension face à l’avenir. Et ça doit être agréable de se sentir ainsi confiant et en maîtrise ! 
Cependant Jésus nous met en garde contre ce « syndrome du grenier plein », qui incite à moins dépendre de Dieu, qui tend à détourner notre coeur de lui. 

Voilà pourquoi le disciple est appelé à un certain dépouillement volontaire, c’est vrai. 
François d’Assise avait raison : si la pauvreté doit d’abord être intérieure, il peut être bienfaisant pour notre relation avec Dieu de nous dépouiller matériellement de façon volontaire
C’est bien ce que Jésus a demandé à cet homme riche qui voulait savoir ce qu’il devait faire pour « gagner la vie éternelle ». Jésus lui a demandé une seule chose : « va, vends tout ce que tu as, donne le aux pauvres, puis viens et suis-moi ». 
A cet homme atteint du virus de posséder, Jésus a prescrit une dépossession bien concrète. 
Pourquoi ? Parce que Jésus a vu en lui un attachement malsain à l’argent, qui fermait son coeur à la grâce de Dieu, qui le tenait lié. Et en effet, le texte nous dit que le jeune homme s’en est allé tout triste, « car il avait de grands biens ». 
De la même façon, certains de nos attachements mal ajustés à l’argent, au pouvoir, au plaisir, au regard des autres ou même à certaines personnes… peuvent fermer notre coeur à l’amour de Dieu. Jésus nous invite alors à nous en dépouiller, volontairement. A y renoncer, pour quelques jours ou pour toujours, selon les cas. Pas pour nous punir ou mériter quelque chose : pour mettre à distance ce qui ferme notre coeur, ce qui encombre nos esprits, et nous rendre disponibles à Dieu dont l’amour est la plus grande des richesses.

C’est dans cet état d’esprit que nous vous invitons à vivre 5 jours de jeûne et de prière à partir de demain. Un temps particulier placé sous le signe de la privation volontaire.
En jeûnant, nous voulons nous faire « pauvres en esprit » devant Dieu, lui dire que nous nous reconnaissons dépendants de lui. Qu’il a la première place, avant même la nourriture. Que nous avons besoin de lui, d’être dans sa présence, de écouter Sa Parole, de lui parler…
Et pour cela, que nous sommes prêts à mettre de côté des choses qui nous tiennent, nous occupent voire nous encombrent ; prendre du temps pour prier au lieu de manger ; couper son téléphone, arrêter le flux des mille pensées, projets, choses à faire… qui agitent nos vies modernes. Notifications, emails et SMS. Flux d’information h24, météo en direct… 
Mais aussi soucis et préoccupations légitimes qui tournent dans la tête, et dont Dieu nous invite à nous décharger sur lui, en nous dépouillant de certaines choses, comme François d’Assise, afin d’être disponibles pour Dieu, et prier.

D. Bourguet appelle cela « le dépouillement par goût de Dieu ». 

Pour finir, lisons ensemble quelques lignes de son commentaire de la première Béatitude : 
« Le dépouillement pour le dépouillement est sans grand intérêt et risque fort de n’être qu’un simple exercice… Renoncer pour renoncer peut même être nocif dans la mesure où on en tirerait orgueil. Le dépouillement est bénéfique quand il est motivé par quelque chose qui le dépasse. Est salutaire le dépouillement par goût de Dieu. Ce goût de Dieu est la seule vraie raison d’un sain renoncement. C’est le goût de Dieu qui peut m’entraîner au-delà de mes biens, qui peut m’entraîner au renoncement. Ce goût de Dieu n’est pas une richesse nouvelle à posséder, car c’est le goût de celui que nous ne pouvons pas posséder » (D. Bourguet, Les Béatitudes)

Avons-nous le « goût de Dieu » ? Avons-nous le désir d’être ces « pauvres en esprit » dépendants de Dieu à qui Jésus promet le Royaume de Dieu, l’intimité avec lui ? 
Alors engageons-nous joyeusement dans ce temps de jeûne et de méditation. 
Ces moments sont propices pour cultiver notre pauvreté d’esprit dans une humble prière, et revenir à l’essentiel : l’amour de notre Père céleste. 

Je finis en vous laissant cette question que vous pouvez méditer pendant la semaine, si vous le voulez : 
De quoi ai-je besoin de me dépouiller, pour mieux ouvrir mon coeur à l’amour et la grâce de mon Père céleste ?

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