Prédication du dimanche 11 février 2018 - Actes 6 : une organisation au service de la croissance de tous (S. Guiton)

Dans la vie d’Eglise, et plus largement dans la vie chrétienne, y a-t’il des domaines, des services, qui soient « spirituels » et d’autres qui soient « non-spirituels » ? 
Participer à une étude biblique : spirituel. Cuisiner pour le repas d’Eglise… ? 
Participer au culte : spirituel. S’engager dans un conseil, spécialisé ou non… ? 
Animer un groupe de prière : spirituel. Organiser un week-end d’Eglise… ? 

Il me semble que dans les communautés protestantes, ce qui touche à l’organisation notamment a tendance à être considéré comme peu spirituel, et même à être connoté un peu négativement. Il est vrai qu’on supporte déjà, dans la vie professionnelle, une forte dose de réunions, restructurations, organigrammes… si en plus il faut vivre cela dans l’Eglise ! 
Et puis, n’est-il pas dans notre ADN de protestants de nous méfier des hiérarchies et des titres, nous qui croyons à l’égalité des croyants devant Dieu, tous en relation personnelle avec lui sans intermédiaire autres que Christ ? 
Enfin, il existe peut-être dans notre imaginaire le rêve d’une Eglise d’autrefois sans conseils, conseils spécialisés, planning… où tout était simple et spontané, sous la conduite directe et fluide du Saint Esprit.  
Mais cette Eglise a-t’elle seulement existé ? 
Pour creuser la question, je vous propose de méditer ensemble un récit du livre des Actes, au chapitre 6.

Nous sommes dans les premiers temps de l’Eglise, à Jérusalem. Les apôtres prêchent activement l’Evangile dans la ville, et les fruits apparaissent bien vite : l’Eglise grandit. Ce qui amène les apôtres à revoir leur organisation…

Texte : Actes 6.1-7

1 En ces jours-là, comme les disciples se multipliaient, les gens de langue grecque se mirent à maugréer contre les gens de langue hébraïque, parce que leurs veuves étaient négligées dans le service quotidien. 2 Les Douze convoquèrent alors la multitude des disciples et dirent : « Il ne convient pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. 3 Choisissez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de qui l'on rende un bon témoignage, remplis d'Esprit et de sagesse, et nous les chargerons de cela. 4 Quant à nous, nous nous consacrerons assidûment à la prière et au service de la Parole ». 5 Ce discours plut à toute la multitude. Ils choisirent Etienne, homme plein de foi et d'Esprit saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d'Antioche. 6 Ils les présentèrent aux apôtres, qui, après avoir prié, leur imposèrent les mains.
7 La parole de Dieu se répandait, le nombre des disciples se multipliait rapidement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres obéissait à la foi.


Au premier abord, on peut s’interroger : en quoi ce récit d’une « restructuration » au sein de l’Eglise primitive peut-il nous concerner ? Cette histoire d’organisation est-elle édifiante pour notre foi ? 
Ce récit peut nous aider à mieux comprendre quelle juste place l’organisation doit occuper dans une Eglise, et comment elle peut être non pas un intrus encombrant qui fait perdre son temps à tout le monde… mais un outil inspiré, au service de la croissance de la Parole et des personnes.  

Revenons au contexte : c’est un moment de croissance, de vitalité. Les apôtres se retrouvent à la tête d’une sort de
« megachurch », probablement quelque 5000 membres… ». Il leur faut assurer le suivi pastoral de tous ces gens, prendre le temps de les rencontrer, prier pour eux, donner l’enseignement de base qui manque à tous… Bref, « la bénédiction est là, et il faut la « gérer ». Tenter, le mieux possible, de suivre le mouvement du Saint Esprit ! 

Sous la conduite de celui-ci, les apôtres vont alors proposer une nouvelle organisation, dont je soulignerai trois aspects :
  • une organisation qui répond à des besoins profonds pour le bien du corps et la croissance de tous. 
  • une organisation qui met en valeur les dons et ministères présents dans la communauté. 
  • une organisation inspirée. 

A. Premièrement, cette organisation répond à des besoins profonds, pour le bien de tous. 

Quels sont ces besoins ? Ils apparaissent en filigrane dans le texte. Dans cette Eglise, deux catégories de chrétiens se mêlent : ceux d’origine juive, et ceux d’origine grecque, païenne (les hellénistes). Alors que l’Eglise croît, des tensions internes commencent à apparaître : « les gens de langue grecque se mirent à maugréer contre les gens de langue hébraïque, parce que leurs veuves étaient négligées dans le service quotidien » (Ac 6.1). 
Pour résoudre le problème, les Douze décident alors de choisir sept hommes pour servir aux tables, ce qui leur permet de rester concentrés sur la prière et « le service de la Parole »). Et comme à chaque fois qu’un problème est résolu dans les Actes, un moment de croissance va suivre : « la parole de Dieu se répandait, le nombre des disciples se multipliait rapidement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres obéissaient à la foi » (Ac 6.7). 

Loin de s'arrêter à l'aspect strictement technique du problème (il faut des renforts pour servir tout le monde correctement), ces apôtres entendent chez les grecs la jalousie larvée, voire le sentiment de dévalorisation qui cristallise sur cette question du service des veuves. Ce problème n'est en réalité que le révélateur d'un malaise plus profond. A travers les veuves, ce sont tous les hellénistes qui se « sentent » négligés par les judaïsants. Peut-être ont-ils du mal à trouver leur place aux côtés de ces gens d'origine juive dont la légitimité parmi les disciples est plus grande, de par leur glorieuse hérédité. Leur réaction révèle en tout cas une difficulté à vivre cette situation, et la façon dont ils abordent le conflit manifeste un certain manque de maturité : au lieu d'aborder franchement la question, ils « maugréent ». Ils tournent autour de leur frustration sans l'exprimer ouvertement - quoi de plus dévastateur pour tout le monde ? - et cette tension sourde mine l'unité de la communauté. 
La sagesse des apôtres est de ne pas juger cette attitude, ni de la balayer d’un revers de main : « oh, ces Grecs, ils ne sont jamais contents. Il va falloir qu’ils s’y fassent ». Le but des Douze est la croissance de la communauté dans la foi et l'amour. En apportant une réponse adaptée, ils vont en quelque sorte ôter un frein qui va permettre la croissance de tous. Et ainsi, Luc pourra dire au verset 7 : « la parole de Dieu se répandait, le nombre de disciples se multipliait rapidement à Jérusalem et une grande foule de prêtres obéissait à la loi ». 
De la même façon, il serait possible, et bien compréhensible, que certains parmi nous se sentent un peu déstabilisés par la croissance progressive de notre assemblée. Que dans le secret des coeurs, une inquiétude, une amertume, un malaise… poussent l’une ou l’autre personne à « maugréer »…
De tels sentiments ne doivent pas être minimisées, car ils impactent la croissance spirituelle de tous. Sentiments et besoins ne doivent être ni tus ni ignorés. Il convient d’en parler ouvertement, paisiblement et dans l’amour, afin que des réponses adaptées puissent être données autant que possible.


B. Une organisation qui met en valeur les dons et ministères présents dans la communauté. 

Une autre des particularités de la solution proposée en Actes 6 est qu’elle a pour but de faciliter la vie spirituelle des croyants, et leur engagement, notamment en mettant en valeur les dons et ministères présents dans la communauté. 
Cela va stimuler l'Eglise et encourager sa croissance à tous les niveaux. 
Que serait-il advenu si les apôtres n'avaient pas décidé de réformer l'organisation de cette Eglise ? Ils auraient dû délaisser la prédication et la prière pour répondre aux besoins matériels, et la croissance de l'Eglise en aurait été affectée. Il était donc de leur devoir d'adapter les structures aux besoins de la communauté, et c'est encore celui des responsables aujourd'hui. 
Car comme l’enseigne Ephésiens 4, Dieu ne donne à l’Eglise des pasteurs, des enseignants… que pour qu’ils forment les autres chrétiens afin que ceux-ci puissent « accomplir leur service de chrétiens pour construire le corps de Christ ». Ce qui veut dire que chacun d’entre nous doit pouvoir s’engager dans le service, non seulement pour faire fonctionner l’association, mais pour offrir aux autres les dons qu’il a reçu, afin que tous grandissent. 
Chacun à sa place, selon son appel et ses dons. 
Ce qui demande de clarifier la position de chacun. 
Voyez le côté radical de la déclaration des apôtres : « Il ne convient pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Choisissez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de qui l'on rende un bon témoignage, remplis d'Esprit et de sagesse, et nous les chargerons de cela ». 
Est-ce à dire que ces messieurs se croyaient trop spirituels pour s’abaisser à servir aux tables ? Pas du tout. Ce n’était tout simplement pas leur appel. Et s’ils cessaient de prier et enseigner la parole, qui allait le faire ? Tout le corps de l’Eglise allait en pâtir. 
Mais en délimitant clairement le champ de leur action, ils laissent aussi la place libre pour que d’autres vivent leur ministère, un ministère qui n’est pas moins spirituel, au contraire, car les 7 prennent soin des autres, et ce sont eux qui vont répondre aux besoins les plus profonds. C’est une grosse responsabilité, qui exige d’ailleurs que ces personnes soient « remplies d'Esprit et de sagesse »… tout autant que les apôtres !   
De la même façon, j’ose dire qu’il est nécessaire pour la croissance de tous que les pasteurs puissent se consacrer à prier, méditer la Parole, accompagner les frères et soeurs, aider chacun à trouver sa place, etc. plutôt qu’à organiser le planning des activités ou gérer le site web par ex. Comme il est nécessaire que ceux qui sont doués pour la musique puissent se consacrer à la louange, les moniteurs à l’enseignement des enfants, ceux qui ont le don d’hospitalité à l’accueil, ceux qui ont le don de l’écoute au soutien des autres, etc.
Pour nous, en tant qu’Eglise, c’est un défi à relever. J’encourage chacun à faire ce travail de discernement de ses dons. 

Une saine organisation, inspirée de celle mise en place par les apôtres, doit nous aider à équilibrer les choses, pour le bien du corps et la croissance de tous
En effet, dit Paul, « quand chaque partie fait son travail, dit Paul aux Ephésiens, le corps grandit et se construit lui-même dans l’amour » (Eph. 4.16).


C. Mais une telle organisation, pour jouer son rôle, doit être inspirée par le Seigneur. 
C’est bien le cas en Actes 6. 
La réponse inspirée que les apôtres apportent aux récriminations des hellénistes frappe par sa sagesse. L'institution de ces 7 « diacres » permet à la fois aux Douze de se concentrer sur leur ministère, aux diacres de grandir dans le service, et à l'assemblée de dépasser les tensions qui la travaillaient (6.1). Autant de pas en avant qui expliquent sans doute que davantage de personnes aient pu accepter l'Evangile ensuite. 

Dans leur gestion de la situation, les apôtres font preuve d'une grande maturité, tant spirituelle qu'émotionnelle. Sans tomber dans l'autoritarisme ou s'affoler de ce qui se passe, ils entrent dans une paisible démarche de dialogue ouvert avec l'assemblée (Ac 6.2). Ils placent ensuite les frères et sœurs devant leurs responsabilités en les chargeant de choisir eux-mêmes des personnes pour servir, sans pour autant laisser la chose hors de leur autorité (Ac 6.3 : « choisissez... et nous le chargerons de cela »). Ce faisant, ils reconnaissent sans le dire la pleine légitimité des Hellénistes au sein de l'Eglise : les hommes choisis sont d’origine grecque, signe de confiance et de reconnaissance de leur légitimité dans l’Eglise. Ainsi les apôtres apportent une réponse à la fois au problème du service des repas et à l'inquiétude qui travaillait les cœurs.

S’ils sont ainsi conduits, c’est parce que leur coeur est centré sur Dieu, avant tout, dans la foi. Ils sont à l’écoute de Dieu, ils ne cherchent pas leur propre intérêt mais celui des autres. Alors le St Esprit produit en eux des fruits que nous devons rechercher nous aussi, dans la prière : paix, confiance, dialogue, écoute, valorisation des autres. Amour, en somme ! Pour que Dieu soit glorifié.  

Notons pour finir que dans cette nouvelle organisation, les critères spirituels restent premiers : « choisissez … parmi vous, frères, sept hommes de qui l'on rende un bon témoignage, remplis d'Esprit Saint et de sagesse… » (Ac 6.3). Il s'agit de servir aux tables, de s'engager dans un service plutôt matériel à première vue. Pourtant c'est la maturité à la fois spirituelle et émotionnelle des personnes qui justifiera leur désignation. Cela compte davantage que leurs compétences mêmes, ou le fait qu’ils soient sympas ! 
Et le discernement est communautaire : c’est à l’assemblée de choisir, dans la prière et le discernement. L’assemblée des membres, de ceux qui ont manifesté explicitement leur désir de s’engager et de faire partie du corps. 
Alors, en donnant ainsi des responsabilités à des hommes mûrs sur tous les plans, les apôtres permettent à l'Eglise entière de mûrir et de grandir spirituellement. 
Ce sont là encore des exemples propres à orienter nos choix et nos décisions. 



Questions : dans notre vie spirituelle, quelle place donnons-nous à notre engagement dans la vie de l’Eglise (service, fonctionnement…) ?
Devons-nous faire évoluer notre organisation d’Eglise pour qu’elle favorise davantage la croissance de chacun ? 

Invitation communautaire : prions que le Seigneur inspire notre organisation d’Eglise, pour la croissance de tous.  


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