Prédication du 11 mars 2018 - Jean 15.12-17 (2)- Aimer, c’est donner sa vie pour d’autres (S. Guiton)



Une fois n’est pas coutume, je vous invite à poursuivre la méditation d’un passage déjà abordé il y a 15 jours : Jean 15.12-17.
On est à la fin du ministère de Jésus. Dans un long discours, celui-ci s’adresse à ses disciples pour leur laisser ses « dernières volontés » et les préparer à son départ. 
Dans les versets précédents, Jésus a développé l’image de la vigne : il est le cep, ses disciples sont les sarments, ils porteront des fruits seulement s’ils restent attachés au cep. De beaux  fruits, qui les rempliront de joie
Et le fruit principal, ce sera l’amour. 
Puis Jésus continue : 

12 Voici mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. 13 Personne n'a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis. 14 Vous, vous êtes mes amis si vous faites ce que, moi, je vous commande. 
15 Je ne vous appelle plus esclaves, parce que l'esclave ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai entendu de mon Père. 16 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que, vous, vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure ; afin que le Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en mon nom.
17 Ce que je vous commande, c'est que vous vous aimiez les uns les autres.

Prière

Voilà des paroles empreintes d’émotion. La séparation s’approche, Jésus évoque sa crucifixion prochaine, ce moment où il va « donner sa vie pour ses amis ». 
Nous avons parlé il y a quinze jours de cette invitation à l’amitié que Jésus nous adresse à nous aussi. Invitation à entrer par lui dans l’intimité de Dieu, pour oeuvrer librement à ses côtés - comme le font des amis. 
Mais le coeur de ce passage, c’est ce commandement deux fois répété que Jésus laisse comme dernière volonté : « aimez-vous les uns les autres ». 
Des paroles qui n’ont rien à voir avec les discours façon miss France qu’on peut entendre ici ou là, pleins d’idéalisme et de bons sentiments ! « Je voudrais que tout le monde soit gentil et qu’il y ait la paix dans le monde ». 
Jésus ici invite tous ceux qui veulent le suivre à un engagement concret : mettre l’amour des autres au centre de leurs préoccupations, de leurs choix de vie,  comme lui l’a fait, jusqu’à la perfection, puisqu’il a effectivement donné sa vie à la croix, et que « personne n'a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis ».

Son commandement s’inscrit dans le prolongement de son oeuvre : à notre tour d’aimer les autres comme lui aime (v.12) : à nous de nous mettre en route, d’aller vers les autres en amis, pour les servir humblement, comme Jésus… mais aussi - et c’est une idée un peu folle quand même ! - pour leur donner notre vie à notre tour. 

Donner notre vie ? N’est-ce pas Jésus seul qui pouvait faire cela ? Oui bien sûr : seul Jésus, Dieu et homme parfait et sans péchés, pouvait obtenir pour nous le pardon et la réconciliation avec Dieu. 
Mais donner notre vie pour d’autres, c’est aussi notre appel de chrétiens. 

Comment cela ? 


Dans un autre texte, Jean écrit ceci : « A ceci nous connaissons l’amour : c’est que lui s’est défait de sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons nous défaire de notre vie pour les frères » (1 Jn 3.15-16).

Jean utilise ici cette expression, très parlante je trouve : « se défaire de sa vie ». On la trouve aussi dans son évangile : « si le Père m’aime, dit Jésus en Jean 10.17-18, c’est parce que moi, je me défais de ma vie pour la reprendre. Personne ne me l’enlève, c’est moi qui m’en défais de moi-même ». 

Me « défaire de ma vie » pour d’autres, qu’est-ce que ça veut dire ? Dois-je attendre l’occasion de  me sacrifier pour les tirer des flammes ou les sortir d’une rivière en crue ? Non, bien sûr. 


Dans les versets suivants, Jean donne un exemple : « si quelqu’un possède les ressources du monde, qu’il voie son frère dans le besoin et qu’il lui ferme son coeur, comment l’amour de Dieu demeure-t’il en lui ? Mes enfants, n’aimons pas en paroles, avec la langue, mais en oeuvre et en vérité » (1 Jean 3.17-18). 

Me défaire de ma vie, c’est déjà sortir du souci de moi même pour commencer à « voir mon frère » - c’est-à-dire à m’intéresser à lui. Me décentrer. 
C’est être attentif à l’autre, et lui « ouvrir mon coeur » (v.17). Si je découvre qu’il est dans le besoin, je vais faire ce que je peux pour l’aider : « si quelqu’un possède les richesses du monde … ». Parce que l’amour vrai agit, il ne se contente pas de bonnes paroles !
Est-ce que ça veut dire qu’il nous faut voler au secours de tous les malheureux que nous rencontrons ? Notre coeur est souvent déchiré, n’est-ce pas, quand nous croisons le regard d’un enfant Syrien qui mendie à un feu rouge. Si nous pensons que Dieu nous demande de répondre à tous ces besoins, peut-être allons nous préférer ne pas « voir » ces gens, et donner une pièce ou un bon conseil sans vraiment regarder la personne, de peur d’être entrainés dans le gouffre de leurs soucis. 
Je ne crois pas que « se défaire de sa vie » pour les autres signifie « s’ériger en sauveur de tous ». Même Jésus n’a pas guéri tout le monde. Il n’avait pas non plus de ressources financières. Mais cela ne l’a pas empêché de se donner sans compter à tous ceux qu’il rencontrait, en leur offrant écoute et considération, quelle que soit leur situation. Ainsi Jésus « regarda et aima » l’homme riche qui vint le trouver un jour, dit l’Evangile. 
De la même façon, me défaire de ma vie pour d’autres, c’est faire l’effort de sortir de mes habitudes, de mes sécurités, de mes préjugés… pour me tourner vers l’autre, et lui accorder mon attention bienveillante et mon amitié. M’intéresser déjà à l’autre qui est là, à côté de moi. Que je peux voir, si j’y prête attention. 
« Si quelqu’un … voit son frère dans le besoin » : quels sont les principaux besoins des personnes que je côtoie chaque jour ? 
De quoi a besoin par exemple mon prochain qui ne connait pas le Christ : je doute qu’il ait besoin que je lui tienne des discours abstraits sur l’amour de Dieu, que je tente de le persuader que ses choix de vie ne sont pas bons ou même qu’il devrait venir dans ma super église. 
Et s’il avait surtout besoin de mon amitié
Parce que ce qu’on appelle « l’évangélisation », c’est d’abord créer des relations authentiques avec des personnes, et les aimer. 
Une telle démarche exige de consacrer du temps avec cette personne, ce temps si précieux de notre vie qu’on pourrait consacrer à tant d’autres choses, mais qu’on va choisir d’offrir - est-ce que ce n’est pas aussi ça, « se défaire de sa vie pour quelqu’un d’autre » ? 

Mais comment, sans cela, faire un chemin authentique vers l’autre ? 
Jésus a pris ce temps pour nous approcher humblement, en ami, en frère, lui qui s’est dépouillé de sa condition divine pour venir nous rejoindre dans ce que nous vivons. 

Méditant sur cet abaissement volontaire de Jésus, Jean Vanier, qui a donné sa vie aux personnes exclues, écrit ceci : « aimer quelqu’un, ce n’est pas lui montrer notre supériorité en lui faisant du bien. Mais c’est lui révéler qu’il est important ». Cela demande « une foi profonde dans le fait que chacun est important » (J. Vanier, Jésus vulnérable)

Le croyons-nous ? 

« Quand on révèle à quelqu’un sa valeur, poursuit Jean Vanier, il peut découvrir qu’il est aimé et qu’il est appelé à aimer. A recevoir et à donner de l’amour. Le sens profond de la vie, c’est cette fécondité qui consiste à communiquer aux autres leur beauté, leur valeur ». 

Ce regard de réel intérêt, de respect et d’accueil sans condition est sans doute le premier « don de moi » que je peux faire à l’autre. Ecouter vraiment ce qu’il dit, lui donner du temps même si je n’en ai jamais assez ! Et même si ses idées ou sa vie me déstabilisent. 
Il est fréquent que des chrétiens se demandent s’ils ne vont pas « cautionner » des choix de vie qui s’opposent à l’Evangile en accueillant tout le monde de façon bienveillante. 
La question est complexe, et il faut être sage, bien sûr. Mais je me dis que si écouter avec amour des personnes dont on désapprouve les choix était un péché ou une attitude dangereuse, Jésus n’aurait pas accordé en priorité son attention à des escrocs, des prostituées ou des personnes dont la vie affective et sexuelle était visiblement déréglée…
Il se trouve, comme l’a écrit quelqu’un que « l’amour que nous devons au prochain est toujours dérangeant. S’il ne nous dérange jamais, c’est que nous n’avons pas commencé à aimer ».
Me défaire de ma vie, ce sera aussi accepter certaines difficultés, certains moments de malaise, certains dangers même pour que d’autres puissent vivre et grandir dans l’amour. Accepter même que mon amitié soit rejetée, ou qu’on en abuse parfois. Jésus n’a pas caché ces risques et nous demande de les accepter - pour peu que cela permette à l’autre de grandir, pas juste pour la « gloire » d’être piétiné ! Un chrétien ne devrait pas être un paillasson, mais un piédestal pour les autres - quelqu’un qui les aide à s’élever.

Y a t’il des personnes vers lesquelles je n’ose pas aller, par peur du rejet ? Je peux en parler à Jésus et trouver le courage en lui, car il me comprend. Lui-même « est venu parmi les siens, et les siens ne l’ont pas accueilli », dit Jean. 


« Ce que je vous commande, c'est que vous vous aimiez les uns les autres. Personne n'a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis ».

Ne nous leurrons pas, aimer ainsi est hors de notre portée sans Dieu. 

Nous savons tous par exemple qu’il n’est pas facile d’être simplement disponibles pour les autres. 
L’expérience montre en effet que ce n’est pas quand vous êtes bien disposé, installé à la Causerie le vendredi AM par ex, prêt à recevoir et écouter quiconque entrera… que vous serez sollicité. C’est souvent au pire moment, quand vous en avez le moins envie ou que vous êtes stressé par tout ce que vous avez à faire, que soudain, quelqu’un a besoin de votre attention et de votre amitié ! 
Se rendre disponible, alors, c’est un acte de foi : « Seigneur, j’ai tant de choses à faire, je ne suis pas prêt, pas capable… prends tout ce que j’ai à préparer, occupe toi de moi, et occupe aussi de cette personne, avec moi » ! 

Et en effet, « sans moi, vous ne pouvez rien faire », dit Jésus. 
Mais avec lui, tout devient possible ! Son amitié est la seule sécurité qui puisse me permettre de me donner sans craindre de me perdre. 
Plus je le laisse prendre soin de moi, et plus je suis libre pour m’intéresser aux autres.
Plus je me tiens à la main de Dieu, plus je peux relâcher ma prise sur ma propre vie… et avec cette main qui se libère, il y a quantité d’actes d’amour qui deviennent possibles !

La confiance en Jésus me permet de me donner sans craindre de me perdre,  
parce qu’en ami fidèle et attentif, Jésus ne m’envoie nulle part sans partir lui-même avec moi, et même y aller avant moi. « Je vous précède en Galilée », dira-t’il aussi aux disciples. 
De même, l’amour qu’il nous commande d’avoir les uns pour les autres sera un fruit qu’il produira en nous, par son Esprit : parce que c’est lui qui nous a choisis pour nous envoyer aimer les autres, il nous rendra capables d’accomplir la mission :« Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués pour que, vous, vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure ; afin que le Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en mon nom ».

J’aime la façon dont Jean Vanier, encore,  dit cela : « parce que Jésus est en nous et que nous sommes en lui, dans nos rencontres, nos partages, notre travail, nos projets, notre vie en famille ou avec nos amis, nous sommes en Jésus et nous le révélons aux autres. Lorsque nous posons de petits gestes d’amour, de partage, d’affection et de compassion, spécialement envers ceux qui sont faibles ou dans le besoin, nous sommes avec lui ». 
Comme un ami, Jésus n’attend qu’une chose : que je m’appuie sur lui pour accomplir ce qu’il me demande de faire.
Personnellement, c’est cette pensée qui m’encourage et me permet d’avancer et de tenir bon au quotidien… 
Oui, si je confie totalement ma vie entre les mains du Seigneur, il saura en faire bon usage. 
Ce que je donnerai de ma vie aux autres, pour lui, sera alors multiplié, fécondé… Au final, je ne la perdrai pas, mais je la retrouverai renouvelée, élargie, illuminée. 
Eternelle. 
Amen 

Questions : 
Dans mon entourage, qui dois-je aimer comme Jésus m’a aimé ? A qui offrir mon amitié, au nom de Jésus ? 
Je prie que Dieu m’aide à voir ces personnes et à les aimer « en oeuvre et en vérité » : comment puis-je leur manifester de l’amour ? 


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