Prédication du 08 novembre 2020 - Jean 4. 4-30 - A la rencontre des gens d’autres religions
Quelles sont nos relations avec les gens des « autres religions » - juifs, musulmans, bouddhistes… ?
Il me semble que la question nous est posée, nous chrétiens de France, en ces temps où dans notre pays, la tension monte autour des questions religieuses.
Certes le terme « religion » n’est pas très juste pour parler de la foi chrétienne. La Bible se focalise plutôt sur la révélation de Dieu, au-delà des rites et traditions...
Mais par commodité, acceptons quand même ce titre ce matin.
Comment qualifier donc nos relations avec les gens des « autres religions », notamment les musulmans ? Ne se limitent-elles pas, globalement, à une cohabitation indifférente, voire méfiante ? Et est-ce juste ?
Finalement, qu’est-ce que le Seigneur attend de nous dans ce domaine ?
La question n’est pas simple. Mais ici comme ailleurs, Jésus trace la voie à suivre. Lui qui a choisi de révéler qui il était, en avant-première, à une femme Samaritaine – donc d’une « autre religion » - rejoignant ainsi la soif d’un cœur, au-delà des préjugés et des différences religieuses.
Nous allons méditer le récit de cette rencontre en Jean 4.
Un mot sur les Samaritains avant cela : ce peuple vivait dans une enclave en plein milieu d’Israël.
Issue du judaïsme, la religion samaritaine s’en est détachée sans doute sous l’influence des envahisseurs assyriens, des siècles avant Jésus-Christ. Son lieu saint n’était pas Jérusalem mais le mont Garizim où un temple avait été construit. Les Samaritains partagent avec les juifs des racines communes – la filiation à Abraham, Jacob… comme les musulmans avec nous. Mais leur chemin a pris une orientation très différente.
Les juifs les détestaient tellement qu’ils étaient prêts à faire de longs détours pour ne pas avoir à traverser la Samarie. Jésus, lui, va y passer.
(Jésus) quitta la Judée et retourna en Galilée.
4 Or, il fallait qu’il traverse la Samarie.
5 Il arrive près d’une ville de la Samarie appelée Sychar (…)
6 Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué du voyage, s’assit tout simplement au bord du puits. Il était environ midi.
7 Une femme de la Samarie vient puiser de l’eau et Jésus s’adressa à elle : « Donne-moi à boire. »
8 Ses disciples étaient allés en ville acheter de quoi manger. //
9 La femme samaritaine dit à Jésus : « Mais, tu es Juif ! Comment oses-tu me demander à boire, à moi, une Samaritaine ? » En effet, les Juifs n’ont pas de relations avec les Samaritains.
10 Jésus continua : « Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé de l’eau et il t’aurait donné de l’eau vive. »
11 La femme répliqua : « Seigneur, tu n’as pas de seau et le puits est profond. D’où aurais-tu donc cette eau vive ?
12 Serais-tu plus grand que notre ancêtre Jacob, qui nous a donné ce puits et qui a lui-même bu de son eau, ainsi que ses fils et ses troupeaux ? » //
13 Jésus lui répondit : « Toute personne qui boit de cette eau aura encore soif ;
14 mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle. »
15 La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi cette eau, pour que je n’aie plus soif et que je n’aie plus besoin de venir puiser de l’eau ici. »
16 Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari et reviens ici. »
17 La femme lui répondit : « Je n’ai pas de mari. » Et Jésus ajouta : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari ;
18 car tu as eu cinq maris, et l’homme avec lequel tu vis maintenant n’est pas ton mari. Tu as donc dit vrai. » //
19 « Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète.
20 Nos ancêtres samaritains ont adoré Dieu sur cette montagne, mais vous, les Juifs, vous dites que l’endroit où l’on doit adorer Dieu est à Jérusalem. » –
21 « Crois-moi, continua Jésus, l’heure vient où vous n’adorerez le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem.
22 Vous, vous adorez Dieu sans le connaître ; nous, nous l’adorons et nous le connaissons, car le salut vient des Juifs.
23 Mais l’heure vient, et elle est même déjà là, où les vrais adorateurs adoreront le Père par l’Esprit qui conduit à la vérité ; car ce sont de tels adorateurs que le Père recherche.
24 Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent le fassent par l’Esprit qui conduit à la vérité. » //
25 La femme lui dit : « Je sais que le Messie, c’est-à-dire le Christ, va venir. Quand il viendra, il nous enseignera toutes choses. »
26 Jésus lui répondit : « Je le suis, moi qui te parle. »
(…) 28 Alors la femme laissa sa jarre et retourna en ville, où elle dit aux gens :
29 « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ! Ne serait-il pas le Christ ? »
30 Ils sortirent donc de la ville et vinrent à la rencontre de Jésus.
L’attitude de Jésus dans ce récit peut éclairer nos propres contacts avec les gens d’autres religions – et même au-delà.
Rencontre rentre religions… ou entre personnes ?
Peut-on dire, tout d’abord, qu’on assiste ici à la rencontre de deux religions différentes ?
Oui, puisque Jésus est bien juif, pleinement solidaire de son peuple auquel la révélation du salut a été confiée… et c’est bien en tant que juif qu’il rencontre cette femme. Quant à elle, elle se pose tout de suite en tant que samaritaine, et c’est elle qui nomme leur différence religieuse : « Mais, tu es Juif ! Comment oses-tu me demander à boire, à moi, une Samaritaine ? ».
Jésus cependant ne rebondit pas sur l’aspect religieux : immédiatement, il s’adresse à cette femme en tant que personne, au-delà de tout ce qui les sépare en terme de croyances, de culture : « Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé de l’eau et il t’aurait donné de l’eau vive. »
Ce qu’il voit, ce n’est pas « une Samaritaine héretique», mais une personne créée à l’image de Dieu, un peu perdue dans sa vie… et à qui il va donner ce qu’elle recherche confusément – l’eau vive de Dieu.
De fait, Jésus ne se présente jamais en tant que représentant d’une religion : d’ailleurs, a t’il fondé une religion ? La Bible ne dit rien là-dessus. Mais il est venu ouvrir une relation avec Dieu le Père qui l’a envoyé et vers lequel il est le chemin – le seul chemin qui conduise jusqu’à destination.
Bien sûr nous ne sommes pas Jésus ! Mais cette posture fondamentalement « non religieuse » me semble essentielle dans notre relation aux gens d’autres religions – nous venons en tant qu’amis du Christ, enfants de Dieu, vers des frères et des sœurs en humanité que le Père aime autant qu’il nous aime, et qu’il désire non pas transformer en « pratiquants du christianisme », mais ramener à lui, par Jésus.
Cela implique donc dans nos rencontres de ne pas trop se laisser accaparer par les questions de différences religieuses, culturelles, pour essayer de parler du fond – de cette rechercher spirituelle qui nous anime.
Lorsque nous croisons une femme voilée, par exemple, que voyons-nous ? L’incarnation de l’Islam… avec toutes les représentations qu’on peut en avoir…. ou une personne que Dieu aime, une sœur en humanité ?
Au-delà de la religion, la soif de Dieu
Dans cette démarche, l’exemple de Jésus ici nous invite donc à dépasser les questions de religion pour considérer le fond, le cœur.
Ici, la seule intéressée par les questions religieuses, c’est la femme : « nos ancêtres samaritains ont adoré Dieu sur cette montagne, mais vous, les Juifs, vous dites que l'endroit où l'on doit adorer Dieu est à Jérusalem …
Elle questionne les différences de pratiques, de rite… et c’est souvent comme ça : « vous êtes Bouddhiste ? Ah… nous prions de telle manière, et vous ? ». On joue au jeu des différences… Culturellement, c’est intéressant, une bonne occasion de mieux se connaître pour mieux se respecter.
Mais cela peut nous détourner de l’essentiel, qui est la dimension spirituelle, la recherche d’une relation avec Dieu.
Jésus, lui, ne se laisse pas détourner : « Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c'est toi qui lui aurais demandé de l'eau et il t'aurait donné de l'eau vive ». Jésus voit la soif profonde présente dans le cœur de cette femme.
Et à sa question « où faut-il adorer Dieu », il répond : « Au fond, ce n’est pas la question » ; ce qui compte, c’est d’adorer Dieu, qui est Esprit, « par l'Esprit qui conduit à la vérité ; car ce sont de tels adorateurs que le Père recherche ».
Par ces mots, Jésus touche le désir profond de la Samaritaine, et l’eau vive, éternelle, est déjà là, dans les paroles du Seigneur.
Demandons nous aussi que le Saint-Esprit nous inspire de telles paroles de vie, des paroles qui traversent la surface des différences religieuses pour toucher les cœurs.
Car nous ne sommes pas envoyés pour promouvoir une religion contre une autre, mais pour partager l’amour du Dieu vivant et être une source de bénédiction pour les autres.
Sans doute est-il important, pour cela d’avoir en tête la diversité des positions religieuses auxquelles nous pouvons être confrontés – la même que parmi les chrétiens: simple attachement culturel, voire identitaire, ou recherche sincère de Dieu ? Cela changera la façon dont nous pourrons aborder l’autre. En tout cas, prions pour ces personnes que nous rencontrons, et que Dieu nous inspire amour et sagesse pour les accueillir.
Une soif partagée – accueillir l’autre là où il en est
Est-ce que ça signifie qu’il ne faut pas aborder les sujets qui fâchent, éviter les points de divergence ? C’est peut-être une autre tentation : ne parler que de points communs, lisser le discours. « Oui, nous sommes tous fils d’Abraham, c’est formidable ».
Là encore, Jésus ne se laisse pas détourner de l’essentiel, et il est très direct : « Vous, vous adorez Dieu sans le connaître ; nous, nous l'adorons et nous le connaissons, car le salut vient des Juifs » !
Faut-il être aussi direct que cela ?! Sans doute pas ! Jésus peut le faire car il est Dieu – pas nous !
Je m’interroge : pourquoi la femme n’est-elle pas repoussée par ces paroles tranchantes ? Parce qu’en même temps, Jésus la respecte ; il reconnaît en elle une adoratrice sincère, quelqu’un qui cherche vraiment Dieu. Et il la prend là où elle est… pour l’amener plus loin, vers la véritable adoration « en Esprit et en vérité ».
Plusieurs fois, Jésus va ainsi honorer la foi de non juifs, disant même d’un Romain : « Même en Israël, je n'ai pas trouvé une telle foi ! ».
Oui, Dieu honore la foi de gens qui cheminent dans d’autres religions ; cela apparaît régulièrement dans la Bible et c’est important d’ouvrir nos esprit à cela. Il ne s’agit pas d’affirmer que toutes les religions sont équivalentes, mais de reconnaître qu’en dehors de la Bible il existe déjà une révélation de Dieu accessible à tous les humains, la « révélation générale » dont parle Paul en Romains 1, et qui est à la base de toutes les religions – conscience du divin à travers le spectacle de la création, conscience du spirituel, qui fait écho à notre besoin fondamental de Dieu et pousse des gens à le chercher, partout et depuis toujours….
La déclaration évangélique de Manille dit ainsi qu’on peut trouver dans les religions du monde des « éléments de beauté et de vérité ». De la vraie sagesse, de belles intuitions spirituelles – sans parler des richesses culturelles. Il serait donc malvenu, injuste, de les mépriser et de les regarder de haut. Jésus lui-même ne fait pas cela et reconnaît le véritable chemin vers Dieu que certains accomplissent au sein de ces autres traditions.
Mais si riches, si anciens soient-ils, ces chemins ne peuvent conduire au salut par eux-mêmes, car celui-ci ne se trouve qu’en Jésus-Christ seul. Il est le seul nom par lequel les êtres humains peuvent être sauvés.
Déclaration de Lausanne
« Nous affirmons qu’il n’y a qu’un seul Sauveur et un seul Évangile... Nous pensons que tous les hommes ont une certaine connaissance de Dieu, car ils peuvent le reconnaître dans ses œuvres. Mais cette révélation naturelle ne peut les sauver….
Nous rejetons aussi toute espèce de syncrétisme et de dialogue qui sous-entend que le Christ parle de façon équivalente au travers de toutes les religions et idéologies….
Jésus-Christ, qui est le seul Dieu-homme et qui s’est livré comme unique rançon pour les pécheurs, est le seul médiateur entre Dieu et les hommes.
Il n’y a pas d’autre nom par lequel nous devions être sauvés ».
A la Samaritaine, Jésus ne demande donc pas de repartir à zéro dans son chemin vers Dieu, en revanche il lui révèle ce qui lui manque pour avancer encore vers Dieu : « Je suis (le Messie), moi qui te parle ». Pour atteindre le Père, il lui faut Christ.
La vie de cette femme va être transformée par cette découverte.
Pour que la vie des personnes que Dieu met sur notre route le soit aussi, gardons fermement cette conviction que Christ est le seul sauveur, et qu’il nous envoie pour se révéler aux autres qui, sans lui, seront perdus, car Christ est le seul chemin vers le Père, pour chacun de nous.
Seigneur, fais de nous des sources de bénédiction
Ainsi, l’exemple de Jésus nous invite à rencontrer les gens d’autres religions dans le respect de qui ils sont, en prenant au sérieux leur recherche de Dieu, et sans nous laisser arrêter ou détourner par les questions purement religieuses ou culturelles.
En résistant à la tentation des amalgames, des jugements définitifs et du rejet.
Surtout bannir tout mépris, tout orgueil mal placé : qui peut se vanter de la grâce, dit Paul ? Quelles que soient nos croyances, nous sommes tous pécheurs et nous avons tous besoin de la grâce de Dieu. Non, nous n'appartenons pas à une religion mais à Christ, qui s'est abaissé lui-même. Comme lui, il nous faut nous approcher humblement de nos frères en humanité, en priant que Dieu les bénisse au travers de nous, si c’est sa volonté.
Lui seul peut ouvrir tous les cœurs et étancher toutes les soifs.
A lui soit la gloire.
Amen
Vers qui me demandes-tu d’aller, Seigneur ?
S. Guiton
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