Prédication du dimanche 18 août 2019 - Ruth, un modèle de compassion - Ruth 1.7b-22 (S. Guiton)




En juillet dernier, l’équipe américaine a gagné la coupe du monde de foot féminin ici à Lyon. Après la victoire,Megan Rapinoe, la joueuse star de l'équipe américaine, a prononcé un discours qui a eu beaucoup d’impact et dans lequel elle a dit ceci : « Voilà ce que je vous demande à tous : on doit s'améliorer, on doit aimer plus, haïr moins, plus écouter, moins parler ». `
Beau de voir cette championne rappeler ces fondamentaux de l’Evangile ! 
Mais aussi un défi pour nous, chrétiens, un challenge : tout faire pour incarner, nous les premiers, au quotidien, cet amour tourné vers les autres. 
Aimer plus : beau rappel, mais qu’est-ce que cela peut bien signifier concrètement ? 

Pour le comprendre, je vous invite aujourd’hui à prendre exemple sur une autre femme hors du commun, une « championne » biblique : Ruth. Distinguée… pour son amour et sa compassion. Et c’est cette qualité que je voudrais souligner particulièrement ce matin : la compassion, liée à la fidélité

L’histoire de Ruth est rapportée dans le livre de l’AT qui porte son nom. Elle se passe à l’époque lointaine des Juges, au début d’Israël, peut-être autour du 12esiècle avant JC. 
Matthieu cite Ruth dans la généalogie de Jésus lui-même, comme une de ses ancêtres. 
Elle est un type, c’est-à-dire une sorte de préfiguration de Jésus, et un modèle pour nous. 

L’histoire commence lorsque une certaine Noémi quitte Beth-léem, de la région de Juda en Israël, avec son mari Abimélek, pour se rendre au pays de Moab – un pays voisin d’Israël qui ne connaît pas Dieu et adore des idoles. 
Ses deux fils se marient avec des filles de Moab : l’un avec Orpa, l’autre avec Ruth. 
La vie n’épargne pas la famille : l’un après l’autre, le mari et les deux fils de Noémi meurent et elle reste avec ses deux belles-filles. Puis une famine s’abat sur le pays de Moab. 
A ce moment-là, les trois femmes apprennent que dans la région de Juda, en Israël, il y a à manger – « le SEIGNEUR (est) intervenu en faveur de son peuple en lui donnant du pain », dit le texte.

Alors toutes les trois prennent leurs affaires et se mettent en route pour un trajet d’environ 70 kms. Mais en route, non loin de la frontière, elles s’arrêtent. Noémi tente de convaincre ses belles-filles de faire demi-tour : venir avec elle, c’est de la folie ! Mais elles résistent. 

Lecture : Ruth 1.8-22
9….Elles se mirent alors à sangloter, 
10 elles lui dirent : Non, nous retournerons avec toi vers ton peuple ! 
11 Noémi dit : Retournez, mes filles ! Pourquoi viendriez-vous avec moi ? Ai-je encore dans mon ventre des fils qui puissent devenir vos maris ? 
12 Retournez, mes filles, allez ! Car je suis trop vieille pour me remarier ; et même si je disais : « Il y a de l'espoir pour moi », si ce soir même j'étais remariée et que je mette des fils au monde, 
13 attendriez-vous pour cela qu'ils grandissent ? Refuseriez-vous pour cela de vous remarier ? Non, mes filles ! Mon sort est plus amer que le vôtre : la main du SEIGNEUR s'est abattue sur moi. 
14 Elles sanglotèrent encore. Puis Orpa embrassa sa belle-mère, mais Ruth s'attacha à elle. 
15 Noémi dit alors : Ta belle-sœur est retournée à son peuple et à ses dieux ; retourne, toi aussi, comme ta belle-sœur. 
16 Ruth dit : Ne me pousse pas à t'abandonner, à me détourner de toi ! Où tu iras, j'irai ; là où tu passeras la nuit, je passerai la nuit ; ton peuple sera mon peuple, et ton dieu sera mon dieu ; 
17 là où tu mourras, je mourrai, et c'est là que je serai ensevelie.Que le Seigneur m'inflige la plus terrible des punitions , si ce n'est pas la mort qui me sépare de toi ! 
18 Noémi, la voyant résolue à aller avec elle, n'insista plus. 
19 Elles marchèrent toutes les deux jusqu'à leur arrivée à Beth-Léhem. Lorsqu'elles arrivèrent à Beth-Léhem, l'émotion gagna toute la ville. Les femmes disaient : Est-ce là Noémi ? 
20 Elle leur dit : Ne m'appelez pas Noémi ; appelez-moi Mara (« Amère »), car le Puissant m'a rendu la vie bien amère ! 
21 J'étais partie comblée, le SEIGNEUR me ramène les mains vides. Pourquoi m'appelez-vous Noémi ? Le SEIGNEUR a témoigné contre moi, le Puissant m'a fait du mal ! 
22 Ainsi Noémi revint, et avec elle sa belle-fille, Ruth la Moabite, qui venait du pays de Moab. Elles arrivèrent à Beth-Léhem au début de la moisson des orges. 


L’exemple de Ruth a beaucoup à nous apprendre sur ce qu’est la compassion, une facette peut-être trop négligée de l’amour. 

Je soulignerai 6  points. 

1.     L’exemple de Ruth nous montre que la compassion n’est pas juste une émotion mais aussi un engagement réfléchi envers l’autre. 

Alors que sa belle-mère essaie de les convaincre de faire demi-tour, Orpah et elle, en leur donnant toutes sortes de raisons – valables ! – de le faire, Ruth prend la décision de ne pas laisser seule cette belle-mère maltraitée par la vie, amère, sans avenir apparent – et de faire route avec elle : « Où tu iras, j'irai … ton peuple sera mon peuple, et ton dieu sera mon dieu…Que le Seigneur m'inflige la plus terrible des punitions , si ce n'est pas la mort qui me sépare de toi ! » 

Il y a beaucoup d’émotion ici (« elles sanglotèrent »), et Ruth est certainement touchée par la souffrance de Noémi, mais l’émotion s’accompagne d’un choix résolu.

Ainsi, la compassion c’est décider de faire route avec quelqu’un en difficulté, en s’engageant fidèlement auprès de lui. 

2.     Un tel choix est déraisonnable, et il coûte.

Quel genre de jeune déciderait de lier son destin avec celui d’une personne sans avenir ? 
Nous rencontrons tous des gens dont la vie a été abimée, blessée, voire brisée. Ils sont allés de défaite en défaite. Les difficultés qu’ils sont vécues les ont rendus difficiles eux-mêmes, voire amers, comme Noémi. Le plus souvent, nous pouvons aller jusqu’à discuter avec eux un moment, mais nous hésitons à leur ouvrir trop la porte, parce qu’ils représentent trop de problèmes. « On ne peut pas porter toute la misère du monde » ! 

Mais la compassion de Ruth, qui est l’image de celle de Dieu, ne connaît pas ce genre de limites. 

Son choix est vraiment déraisonnable, comme Noémi elle-même essaie de l’en convaincre aux versets 11 à 13 : si Orpa et Ruth viennent avec elle, elles ne pourront avoir ni mari ni enfants, ce qui dans leur culture était fatal, car une femme dans cette situation n’avait ni droits ni protection et se retrouvait en marge de la société. Ruth prend donc un gros risque en suivant sa belle-mère : le risque de perdre sa terre natale, sa langue, sa culture, ses désirs de mariage… mais elle le fait quand même. 
Car la compassion est prête à payer le prix nécessaire pour le bien de l’autre.  

Émotionnellement aussi, ça ne va pas être simple d’accompagner Noémi – au propre comme au figuré : cette femme retourne ruinée dans sa ville natale, après 10 ans d’absence, et une fois arrivée, elle demande à changer de nom : Noémi veut dire « agréable, gracieuse », elle veut qu’on l’appelle « amère. Voilà quelqu’un qui n’a pas l’air décidée à sortir de la rumination ! Et qu’il est difficile émotionnellement d’aider des personnes qui se plaignent sans cesse et ne semblent pas vouloir s’en sortir… Cela peut-être décourageant… 
Ruth reste quand même avec cette belle-mère si difficile à vivre. Peut-être voit-elle au-delà des plaintes un cœur blessé, qui cherche la consolation. 

3.    La compassion de Ruth est agissante. Elle voit et agit.

Ce qui distingue la compassion de la pitié, c’est le passage à l’action. J’ai pitié du sans-abri en bas de chez moi. Mais la compassion me pousse à faire quelque chose pour lui. 

Cela commence par une véritable attention à l’autre. « Plus écouter, moins parler », dit la footballeuse !  
« A la vue des foules, (Jésus) fut ému de compassion, car elles étaient lassées et abattues, comme des moutons qui n'ont pas de berger », dit Matthieu 9.36. 

D’abord, oser voir. Avoir ce courage de ne pas fuir. Que le cœur suive les yeux, c’est un principe biblique – valable pour le bien comme pour le mal. Nous, disciples du Christ, choisissons trop souvent de ne pas voir pour ne pas être détournés de notre chemin… il est frappant de voir que les
 « bons exemples », dans la Bible, sont souvent donnés par des étrangers au peuple de Dieu : un samaritain, un centurion romain, ici une moabite… Cela doit nous garder vigilants, attentifs.

Voir, donc, puis décider d’être solidaire de l’autre dans la durée et avec conviction, comme Ruth qui « s’attache » à sa belle-mère. En hébreu, le terme utilisé dit « être collé », et c’est le même mot en Gn 2.24 : « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attacheraà sa femme et ils deviendront une seule chair ». 
Il s'agit donc d'un engagement profond, dans la fidélité, dans le temps. 

Quelle exigence ! Comment vivre cela si nous ne nous attachons pas, « collons » pas d’abord à Dieu ? 
C’est bien le cas de Ruth : contrairement à Orpa qui décide de retourner vers ses idoles, Ruth choisit le Dieu d’Israël :  « ton dieu sera mon dieu », dit-elle, ce Dieu qu’elle nomme elle-même « YHWH », comme une confession de foi. 
Il nous faut d’abord décider fermement de suivre Jésus « partout où il ira », nous aussi, et d’apprendre de lui afin qu’il nous équipe pour aimer comme il le fait. 

Sinon, vivre la folie de la compassion risque de rester une noble intention… qui tourne court. 

4.    L’exemple de Ruth donne aussi quelques principes pour vivre une vraie compassion. Celle-ci exige notamment la liberté et le respect. 

Ruth ne cherche pas à amener Noémi sur son chemin à elle : elle l’accompagne sur le sien. C’est un des principes quand on veut aider quelqu’un : ne pas chercher à le changer, mais faire route avec lui, dans le dialogue, en cherchant à discerner avec luila présence de Dieu dans sa situation, et le chemin que Dieu lui trace. Le but : redonner à l’autre sa responsabilité.

Ainsi Ruth suit Noémi sans savoir où ça va les mener. Elle ne vient pas lui apporter une solution, mais une présence, une solidarité, un soutien – de l’amour ! 
Pas de « tu n’as qu’à », « il faut », « tu dois »… chez Ruth. Mais de l’écoute, de la patience, le respect de la liberté de Noémi. 
Disons-le clairement : sans une telle relation de liberté et de respect, pas de vraie compassion.

Rien n’oblige Ruth à suivre Noémi, et c’est fondamental. Si Noémi avait contraint Ruth à l’aider en la faisant culpabiliser, par exemple, il n’y aurait pas de compassion, mais une sorte d’esclavage de Ruth envers une éternelle « victime ». Ainsi il existe dans la relation d’aide des attitudes qui peuvent la pervertir.Il nous faut apprendre à les repérer pour éviter que nos généreuses intentions ne nous conduisent dans des puits sans fonds, que nous devenions amers nous aussi. 
Nous ne sommes pas Dieu, nous ne sommes pas des sauveurs, et sauver quelqu’un qui ne veut pas changer n’est pas en notre pouvoir. 
Cheminer avec lui, en revanche, dans une juste distance, dans l’espérance qu’il puisse évoluer positivement, cela est possible. 

Concernant la juste distance, beaucoup utilisent l’image du puits : on dit que pour aider quelqu’un qui est tombé dans un puits, il ne faut pas se tenir trop loin … si on tombe dans le puits… ! Il faut se tenir sur la margelle. 
Voilà notre appel de disciples, assurés par le Seigneur. 

Pour vivre un tel appel, notre don de nous-mêmes doit donc être résolu, motivé, libre et vécu dans la dépendance à Dieu. 

5.     Car la compassion est un acte de foi, un choix d’espérance. 

L’espérance que Dieu lui-même va agir dans la vie de l’autre.

C’est ce qui se passe ici : le dernier verset du passage laisse entrevoir un espoir : « Elles arrivèrent à Beth-Léhem au début de la moisson des orges ».  Pour ces femmes dont la vie était remplie de mort et de désespoir, la moisson est symbole d’un renouveau possible. Et la suite va le confirmer : en récupérant dans les champs des épis tombés, Ruth va rencontrer Booz, un homme juste et bon, qui va l’épouser et lui donner une maison et des enfants –  la lignée de Jésus lui-même. 

L’espoir va renaître aussi pour Noémi à travers ce mariage. Dieu bénira l’engagement humble, persévérant et compatissant de Ruth envers sa belle-mère. 
Et le texte se conclura sur ces paroles de bénédiction adressées non à Ruth, mais à Noémi, lors de la naissance d’Obed, premier fils de Ruth, grand père du roi David : 
« « Loué soit le Seigneur ! Aujourd'hui il a fait naître celui qui prendra soin de toi. Que ton petit-fils devienne célèbre en Israël ! 
15Il va transformer ta vie et te protéger dans ta vieillesse. Ta belle-fille vaut mieux pour toi que sept fils, car elle t'aime et t'a donné ce petit-fils. »


6.     Imiter la compassion de Dieu pour nous, un cadeau immérité

Au final, la compassion de Ruth est vraiment un reflet de celle de Dieu pour nous – de ce Dieu qui est« compatissant et clément, patient et grand par la fidélité et la loyauté » (Exode 34.6).
La compassion de Dieu pour chacun de nous est déraisonnable, fidèle, engagée, et ne dépend pas de notre mérite, mais du cœur de ce Dieu qui a compassion. 

La compassion est le cadeau immérité de Dieu pour nous, un aspect de sa grâce. Nous en sommes l’objet chaque jour, sans limites, qui que nous soyons, car (Lamentations 3.22-23) : « la fidélité du SEIGNEUR n'est pas épuisée… sa compassion (…) se renouvelle chaque matin ».

Même si, souvent, nous sommes responsables de nos propres difficultés, que nous nous enfonçons nous-mêmes dans des impasses, Dieu ne nous abandonne jamais. Il s’engage avec nous.

Et de la même façon qu’il a utilisé Ruth pour bénir Noémi, il veut bénir faire de nous une source de bénédiction pour les autres. Ce ne sera certainement pas facile, ni amusant, et il nous devront être attentifs aux autres mais aussi à nos limites, de peur de nous retrouver nous aussi en difficulté. 

Ruth est vraiment une préfiguration de Jésus-Christ, lui qui s’est abaissé, par compassion pour nous qui nous perdions loin de Dieu, et qui a donné sa vie pour que nous puissions remonter du fond du puits vers la lumière. 
Lui qui à la croixs’est engagé envers chacun de nous. 

Comme lui, ai-je compassion des Noémi autour de moi ? Qui sont-elles ? Suis-je prêt à faire route avec elles ? 


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