Série : « A ceux qui nous ont offensés » - Prédication du dimanche 25 novembre 2018 (3/4) Pardon et réconciliation (S. Guiton)

« Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous offensés ». 

Nous reprenons ce matin notre série sur le pardon, en lien avec l’exposition sur ce thème qui se tient jusqu’en janvier à la Causerie. 

Nous avons vu que les Ecritures nous invitent à pardonner comme Dieu pardonne, et que cela nous aide à comprendre ce qu’est le véritable pardon : ni excuse de la faute, ni oubli, ni attitude de faiblesse un peu facile, le pardon est une démarche courageuse, difficile, qui nous demande de regarder en face les offenses subies pour remettre notre colère entre les mains de Dieu. Comme Dieu l’a fait pour nous en Jésus-Christ, faire une démarche vers l’autre, pour lui dire : « tu m’as blessé » et lui donner la possibilité de demander pardon. 
Aller vers l’autre pour rechercher une réconciliation.

Nous en étions restés là, avec cette question  : pardon et réconciliation… est-ce vraiment possible ? Toujours possible ? Et à quelles conditions ?

Nous essaierons modestement de formuler quelques éléments de réponse, en nous mettant à l’écoute de deux passages de la Bible : 


Matthieu 18.15-22

15 Si ton frère a péché [contre toi], va et reprends-le seul à seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère. 16 Mais s'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l'affaire se règle sur la déclaration de deux ou de trois témoins. 17 S'il refuse de les écouter, dis-le à l'Eglise; et s'il refuse aussi d'écouter l'Eglise, qu'il soit à tes yeux comme le membre d’un autre peuple et le collecteur d’impôts. 18 Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre aura été lié au ciel et tout ce que vous délierez sur la terre aura été délié au ciel.
19 Je vous dis encore que si deux d'entre vous s'accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père céleste. 20 En effet, là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux.
21 Alors Pierre s'approcha de Jésus et lui dit: « Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu'il péchera contre moi ? Est-ce que ce sera jusqu'à 7 fois ?» 22 Jésus lui dit : « Je ne te dis pas jusqu'à 7 fois, mais jusqu'à 70 fois 7 fois.

Et le passage parallèle, dans l’Evangile de Luc (17.3-4)

3. Si ton frère a péché, reprends-le ; s’il change radicalement (s’il se repent), pardonne-lui.4. Et s’il pèche contre toi sept fois par jour, et que sept fois il revienne à toi, en disant : « Je vais changer radicalement », tu lui pardonneras. 



Dans le passage de Matthieu 18, on retrouve quelques éléments déjà évoqués : la reconnaissance de l’offense (« si ton frère a péché contre toi »), la démarche vers l’autre de clarification que l’offensé doit faire (« va et reprends-le seul à seul »), avec discrétion, notons-le. 
On remarque aussi que cet enseignement de Jésus concerne le pardon entre chrétiens, et c’est surtout de cela que nous parlerons. 

Matthieu 18 redit que le but du pardon est la réconciliation (« s’il t’écoute, tu as gagné ton frère »).
Et en disant cela, j’ai envie de m’exclamer comme les disciples juste après (en Luc 17.5) : « Donne-nous plus de foi» ! Quoi ? Non seulement il faut renoncer à notre bon vieux droit à nous venger, et à rendre à l’autre ce qu’il nous a fait, mais en plus il faut nous réconcilier avec lui ?! 

Oui, la réconciliation c’est l’objectif. Le coeur de notre Père céleste se réjouit de voir ses enfants se réconcilier et retrouver leur unité. Voilà d’ailleurs de quoi éclairer les versets 19-20 de Matthieu : pourquoi parler de cette prière commune au milieu d’un enseignement sur le pardon ? Parce qu’ici Jésus vise certainement les croyants qu’un différend a opposés. « Ils se sont expliqué, l’offenseur s’est repenti et a été gagné. Ils sont « tombés d’accord » sur ce qui les a divisés et maintenant ils s’accordent pour prier et régler leur affaire devant Dieu. C’est à ces deux ou trois, assemblés en son nom, que Dieu promet l’exaucement », écrit J. Buchhold (Le pardon et l'oubli, p.136). 

Notre pardon doit déboucher sur la réconciliation. 
Mais attention, cette réconciliation n’est pas à n’importe quel prix. 

Pour comprendre cela, il nous faut déjà bien distinguer le pardon de la réconciliation. Le pardon a quelque chose de pénal, c’est une décision, une déclaration : « je remets l’autre de sa dette envers moi ». La réconciliation, elle, concerne la relation : maintenant que j’ai effacé la dette, je vais renouer mes liens avec lui/elle. 

C’est important de distinguer les deux parce que trop souvent, au nom des relations, on étouffe les offenses, ce qui interdit le pardon et laisse la blessure ouverte. Trop souvent, la colère et l’amertume continuent de couvée sous des relations soi-disant « réconciliées ».

Un exemple : nous, parents, craignons tellement les tensions entre nos enfants que nous faisons tout pour qu’ils « fassent la paix »… « allez, faites-vous un bisou, tout est réglé ». Mais il y a parfois entre nos enfants de réelles difficultés relationnelles, qu’il faut aussi écouter, essayer de comprendre… au risque que le bisou imposé ne soit suivi d’autres morsures ! Est-ce que je prends ce temps pour écouter, lutter contre les injustices au sein de ma famille au lieu de ne penser qu’à la « bonne entente », la « bonne ambiance » ? 
Pas simple, n’est-ce pas ? Aucun parent ne peut faire le malin dans ce domaine…

Regardons aussi ce qui se passe dans les pays qui ont subi des guerres civiles. Il ne suffit pas que la paix soit rétablie par les armes, et qu’on déclare une amnistie générale, pour que les gens soient réellement réconciliés… Je pense notamment à l’Occupation de la France par l’Allemagne Nazie. Mon père né en 1947 me racontait qu’enfant, à l’école, il apprenait que tous les français avaient été résistants. Or de trop nombreux français avaient collaboré, certains allant même jusqu’à dénoncer leurs voisins juifs…
La paix sociale au prix du mensonge, du compromis… Résultat, cette période-là reste une blessure dans notre mémoire collective qui a du mal à cicatriser. 

Pas de réconciliation possible donc sans un véritable pardon au préalable. 

Le texte de Matthieu nous aide à répondre ensuite à une autre question : peut-on se réconcilier avec quelqu’un qui nous a fait du mal et qui ne s’en est pas repenti - non seulement qui n’a pas demandé pardon, mais dont les actes montrent aussi qu’intérieurement, il n’a rien lâché ? 

A la lumière de Matthieu 18 et Luc 17, la réponse est non. « Si ton frère a péché, reprends-le ; s’il change radicalement (s’il se repent), pardonne-lui ». « Mais s'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes… s’il refuse de les écouter… s’il refuse d’écouter l’Eglise… ». On voit là le comportement de quelqu’un qui s’obstine dans son péché, interdisant toute réconciliation et même se coupant des autres - au point de finir hors de l’Eglise - « comme un collecteur d’impôts » (expression proverbiale pour dire : quelqu’un qu’il ne faut pas fréquenter) !

Comment me réconcilier avec quelqu’un si je suis encore en conflit avec lui ? En colère ?
Paul écrit en Romains 5.10 : « Si nous avons été réconciliés avec Dieu grâce à la mort de son Fils lorsque nous étions ses ennemis, nous serons à bien plus forte raison sauvés par sa vie maintenant que nous sommes réconciliés ». Nos offenses contre Dieu font de nous ses « ennemis » : c’est la dure vérité. Il fallait alors la mort du Fils de Dieu, à notre place, pour satisfaire la justice de Dieu, nous obtenir le pardon, et permettre que nous soyons réconciliés. Si nous nous repentons, que nous mettons notre foi en Jésus, la colère de Dieu contre nous s’apaise, et il nous adopte comme ses enfants. 

Ainsi Dieu nous aime mais ne nous pardonne et ne nous accueille que si nous nous repentons. 

A son exemple, on peut donc affirmer qu’on ne peut pardonner pleinement quelqu’un qui ne se repent pas, ni se réconcilier avec lui. Cependant, Jésus a quand même pardonné des gens qui n’exprimaient aucun regret. Comme sur la croix : « pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». 
Ne soyons donc pas plus intransigeants que Dieu, donc ! Le pardon commence déjà quand on « laisse aller » sa colère et son droit à la justice entre les mains de Dieu. C’est ce que fait Jésus sur la croix. 

Quelqu’un a écrit aussi que « quand l'offensé est disposé à pardonner, il porte en son coeur l'aube même de la réconciliation ». Même si le pardon complet n'est pas encore fait à ce moment-là, il y a une ouverture, une espérance. La colère est déjà en train de s’apaiser, le travail de l’amertume dans notre coeur peut être arrêté, avec l’aide de Dieu. 

Voilà pourquoi je pense qu’on peut pardonner à quelqu’un qui n’exprime aucun regret. Se réconcilier, c’est une autre affaire. 
On peut même pardonner à quelqu’un qui est décédé. Laisser aller la colère, au moins. Tourner la page - sans l’arracher du livre de notre vie - et permettre la guérison, avec l’aide de Dieu. 

Ainsi, notre devoir est donc de pardonner, et d’aller vers notre offenseur pour lui tendre la perche - pas pour le frapper avec ! ». De lui dire : « Voilà ce qui s’est passé… Voilà ce que tu m’as fait … Voilà ce que j’ai ressenti … Voilà les conséquences dans ma vie ».
Mais la réconciliation ne sera pas toujours possible. Elle dépendra de la repentance de l’autre, qui est bien plus que de simples regrets : « j’ai gâché ta vie ? Ah ben mince, désolé ». 
« Scuz », comme sur l’oeuvre de Ben Jung (Majestart). 


La repentance au contraire est un changement de direction profond, qui pousse à vouloir réparer sa faute, soigner les blessures qu’on a infligées. 
Comme Zachée, qui prenant conscience de sa malhonnêteté accueille Jésus en s’exclamant : « Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de mes biens et si j’ai extorqué quoi que ce soit à quelqu’un, je lui rends le quadruple » (Luc 19.8). 

Voilà les fruits d’une repentance sincère. 


Nous reviendrons la prochaine fois sur le sujet de la repentance. 

On peut retenir en tout cas de Matthieu 18 cette double nécessité : à la fois éviter un enfermement - ne pas s’enfermer dans la colère, ne pas enfermer l’autre dans sa faute - et en même temps, donner une réponse ferme au péché commis. 

Quand on a dit cela, cependant, beaucoup de questions restent posées : quand est-ce qu’il faut refaire confiance ? Se protéger ?

Matthieu 18 montre que le travail de réconciliation demande du discernement, du réalisme : « s’il ne t’écoute pas… ». Ça arrive ! Si l’autre reste buté, on va avoir besoin d’aide, de conseil. Ce qui était jusque là de l’ordre du face à face (« reprends-le seul à seul », dit Jésus), peut changer de dimension et devenir une affaire collective : « prends avec toi deux ou trois personnes »… puis toute l’Eglise ! 

Le discernement se fera au cas par cas, souvent avec beaucoup d’incertitudes. 
Par exemple, comment se comporter par exemple avec nos proches qui nous maltraitent - en paroles et/ou en actes - parfois sous l’emprise de l’alcool, ou parce qu’ils sont malades, et qui une fois dégrisés, calmés, reviennent tout penauds pour réclamer le pardon ? 
Jésus dit : " Si ton frère « pèche contre toi sept fois par jour, et que sept fois il revienne à toi, en disant : « Je vais changer radicalement », tu lui pardonneras ». 
Est-ce que ça veut dire qu’il faut rester avec lui à tout prix, et subir sans cesse ses violences, ses insultes ? 

Sujet difficile. Je crois qu’il y a des temps où pour le bien de tous, il est indispensable de mettre de la distance, de se mettre à l’abri, de protéger, en coupant les liens même pour un temps, s’il le faut. Cela permet d’éprouver la sincérité de la repentance, d’en voir les fruits, au-delà des promesses…
Sans pour autant laisser tomber l’autre. Continuer à prier, espérer, en avançant avec prudence mais résolument. 
Le Seigneur sait. Aucune situation ne lui échappe. Reconnaître notre impuissance et notre besoin de lui est déjà un grand pas à accomplir. 

Ne soyons donc pas trop attachés à la lettre de ces passages, et demandons au Seigneur de nous aider à agir selon les principes qu’ils énoncent, en cherchant comment faire jaillir sa vie au milieu de nos conflits et de nos épreuves. Que nous ne soyons pas vaincus par le mal, mais vainqueurs du mal par le bien, comme le recommande Paul en Romains 12.21. 


Je termine avec deux questions notées pendant un enseignement de Linda Oyer sur le pardon :

1. Quels étaient les sentiments soulevés en moi par cet exposé sur le pardon ? Est-ce que je vois ce qui a provoqué ces sentiments ? Je prends un temps avec Dieu pour lui remettre et lui demander de m’éclairer. 


2. Si je vis une relation difficile avec quelqu’un : que signifie dans cette situation, être « vainqueur du mal par le bien » (Romains 12. 21) - ou d’être vaincu par le mal ? 

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