Prédication du dimanche 23 avril 2017 - Actes 2.37-47 : Une communauté fondée sur le partage (S. Guiton)



En ce jour d’élections, j’ai accueilli comme un clin d’oeil intéressant la proposition de texte de la Fédération protestante pour la prédication d’aujourd’hui. C’est un passage du livre des Actes. 

Ce récit se situe juste après la Pentecôte au moment où les apôtres reçoivent le Saint Esprit. Inspiré, Pierre prononce alors un discours qui a un très fort impact sur les juifs de toutes origines qui se trouvent là. Son discours finit par ces mots : « Que toute la communauté d'Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Messie ce Jésus que vous avez crucifié.»
Touchés, ils sont alors des milliers à croire en Jésus et à se convertir. 
Naît alors l’une des premières communautés chrétiennes, à Jérusalem. 
Nous lisons ce récit dans le livre des Actes au chapitre deux.

Lecture : 

37 Après avoir entendu ce discours, ils eurent le cœur vivement touché et dirent à Pierre et aux autres apôtres: « Frères, que ferons-nous?»
38 Pierre leur dit: « Changez d’attitude et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. 39 En effet, la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera.» 40 Et par beaucoup d'autres paroles, il rendait témoignage et les encourageait en disant: «Sauvez-vous de cette génération pervertie!»
41 Ceux qui acceptèrent sa parole furent donc baptisés et, ce jour-là, le nombre des disciples augmenta d’environ 3000 personnes. 42 Ils persévéraient dans l'enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières. 43 La crainte s'emparait de chacun et il se faisait beaucoup de prodiges et de signes miraculeux par l’intermédiaire des apôtres. 44 Tous ceux qui croyaient étaient ensemble et ils avaient tout en commun. 45 Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et ils en partageaient le produit entre tous, en fonction des besoins. 46 Chaque jour, avec persévérance, ils se retrouvaient d’un commun accord au temple; ils rompaient le pain dans les maisons et ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur. 47 Ils louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple. Le Seigneur ajoutait chaque jour à l’Eglise ceux qui étaient sauvés.



Dans notre contexte électoral, le tableau peint ici par Luc a de quoi frapper : quel beau projet collectif ! Quel beau programme !

Certes, il faut lire ce passage comme un résumé à grands traits, un peu idéalisé, et le reste du livre des Actes montre que dès le début, cette communauté a connu elle aussi des tensions internes.  
Cependant, rien ne permet de dire que cette jeune communauté n’a pas réellement manifesté cette unité, cette joie que Luc décrit. 
Et c’est précisément cette joie qui a retenu mon attention dans la méditation de ce texte. 
« joie et simplicité de coeur », écrit Luc. 
La jeune église de Jérusalem rayonne, au point d’attirer le respect de ceux qui, autour, n’en font pas partie, et d’attirer aussi toujours plus de nouvelles personnes. 
Elle frappe aussi par son unité, que Luc souligne particulièrement : le « ils » englobe tous ces croyants dans un même coeur. Ils sont en « communion fraternelle ». « Tous ceux qui croyaient étaient ensemble et ils avaient tout en commun ». « Ils se retrouvaient d’un commun accord ». Cette unité de coeur n’est d’ailleurs pas remise en question par la croissance numérique du groupe. Il est déjà nombreux (3000 conversions !), et Dieu lui ajoute « chaque jour ceux qu’il sauve ». 
Joie, simplicité, motivation et persévérance. Solidarité et fraternité.
Voilà une communauté ouverte et joyeuse qui vit sa foi devant tous, au milieu de tous et dont le témoignage porte du fruit.

Cela m’a fait réfléchir : connaissons-nous encore, nous gens du XXIe siècle, un tel sens de la communauté ? 
C’est peu de dire que la joie simple d’être ensemble est devenue quelque chose de rare dans notre société. De fait, la question du « vivre ensemble », du lien social, est une des problématiques de notre pays. Simplement cohabiter est devenu un problème, voire une souffrance pour beaucoup de gens. Alors dans un pays morcelé qui peine à trouver un sens à son histoire commune, cette description de l’Eglise primitive a de quoi interroger. 

D’ailleurs, il serait intéressant de voir ce que ce tableau évoque en vous : peut-être certains se sentent-ils mal rien qu’à l’idée de tout partager avec les autres personnes de l’Eglise, même leurs biens, et de les voir tous les jours! Certains crieraient volontiers à la secte si l’on agissait ainsi. Et dans l’histoire de l’Eglise, cette sorte de « communisme » chrétien a provoqué beaucoup de répulsion. 

A l’inverse, on peut aussi soupirer devant ce qui ressemble à un âge d’or pour toujours révolu. C’est vrai que l’époque était bien différente, que l’individualisme n’était pas la règle commune, et que d’une certaine façon, cette expérience n’a pas eu d’équivalent tout simplement parce que c’était la joie des grands commencements. La suite montre aussi qu’elle sera vite dispersée à cause de persécutions. 
Peut-être avez-vous été blessés, déçus par la vie d’Eglise, et ce tableau ravive une désillusion, une amertume. Quand on considère les difficultés dans les Eglises, la tentation est grande, c’est vrai, de penser qu’une fraternité simple et saine entre chrétiens n’est qu’une douce utopie totalement décalée du réel. 
Pourtant, l’unité, la solidarité, et surtout la joie simple de ces gens n’est-elle pas quelque chose que nous voudrions nous aussi vivre
Les modestes expériences d’accueil menées à la Causerie le montrent : nous ne sommes pas les seuls à désirer cela. Les gens qui poussent la porte cherchent eux aussi de tels lieux où vivre la rencontre simple, gratuite. La solitude est profonde, les relations désintéressées sont rares. Dans un tel contexte, l’Eglise de Jérusalem nous lance un défi, et nous encourage.

Elle nous encourage, parce que tout ce qui se produit là est oeuvre divine - oeuvre de ce même Dieu dans lequel nous plaçons nous aussi notre espérance. Tout ce qui se produit entre ces personnes est l’oeuvre de Jésus, le Ressuscité. L’une de ses premières grandes œuvres après la Pentecôte est de mettre ensemble les juifs touchés par le discours de Pierre, pour qu’ils soient des pierres vivantes animées par son Esprit. 
D’une certaine manière, leur rassemblement en communauté fait aussi partie de la réponse à leur question : « que ferons-nous, frères ? ».
L’Eglise de Jérusalem, comme les autres églises qui naissent à ce moment-là en Galilée notamment, et comme toutes celles qui suivront, est signe de la présence agissante du Ressuscité : « le Seigneur ajoutait chaque jour à l’Eglise ceux qui étaient sauvés ». Dieu agit, l’Eglise est son oeuvre - une oeuvre marquée du sceau de la joie et de la simplicité, et que rien ne peut arrêter. 
Cela signifie que le vécu de l’Eglise de Jérusalem peut être aussi le nôtre. Et que Luc ne fait pas que décrire une utopie ; il formule une promesse : si nous restons centrés sur lui, si nous accueillons la vie de son Esprit, Dieu manifestera sa présence au milieu de nous. Il veut faire de notre communauté un signe de sa présence agissante dans ce monde. 

Et pour cela, il nous pousse les uns vers les autres, pour que nous apprenions à nous aimer :  « A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres » dit Jésus (Jean 13.35).
Dans l’Eglise comme dans la famille, l’amour est souvent maladroit, et nous ne savons pas trop comment nous y prendre pour aller les uns vers les autres, pour bien vivre la communauté. On cherche parfois à résoudre cela par de nouvelles activités, une nouvelle organisation. 

Mais l’Eglise de Jérusalem nous invite tout simplement à suivre le chemin du partage.

En effet, dans cette Eglise, tout repose sur la mise en commun. Plusieurs mots grecs employés ici renvoient à l’idée de partager. Ce qui fait de ce rassemblement une vraie communauté.
Dans l’Eglise de Jérusalem, ce partage se vit au quotidien : on partage l’enseignement, la prière ; on partage ses biens.
Cela nous encourage nous aussi à persévérer, à participer à la vie de l’Eglise non par légalisme mais parce que cela nous aide à garder Dieu au centre, et à recevoir  ensemble ce qu’il veut nous donner. 
La joie naît quand je reçois de Dieu, et que je partage avec d’autres ce que j’ai reçu. 

Pour nous aussi, le chemin pour grandir dans l’amour passe par des gestes aussi simples que celui de prier ensemble ou de partager du pain. « Ils étaient assidus à… la fraction du pain » ; « ils rompaient le pain dans les maisons et ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur ».
Luc insiste particulièrement sur ce geste qui a une double dimension envers Dieu et envers les autres.
Ainsi, le pain rompu et partagé, c’est le geste de la Sainte Cène. Celle-ci me rappelle que par Jésus, je suis réconcilié avec Dieu, qu’il m’offre son pardon de façon inconditionnelle - et ainsi, je peux accueillir mon frère ou ma soeur comme il est, et vivre aussi avec eux le pardon et la bienveillance. Comme Dieu m’accueille, je les accueille. Comme Dieu me pardonne, je les pardonne. 
Mais Luc évoque aussi le pain rompu et partagé pour parler de l’hospitalité, du temps passé ensemble. Les moments partagés dans les maisons disent la présence de Dieu dans tout ce que l’on vit. De la même manière, nous sommes nous aussi invités à aller vers nos frères, avec nos vulnérabilités et nos forces, pour leur offrir du temps, pour les rencontrer en vérité, et apprendre avec eux le partage des biens, le soutien, l’écoute… 

Au final, tout cela fonde ce que Luc nomme « la communion fraternelle ». Nous l’assimilons généralement à la convivialité, à ces moments sympas que nous passons ensemble autour d’un repas ou d’un café. Mais en réalité, c’est plus que cela : la communion fraternelle ici, c’est le fait de partager avec les autres croyants la vie de Dieu. Chacun est en communion avec Dieu par l’Esprit de Jésus-Christ, et ainsi tous sont en communion les uns avec les autres.
Ainsi les membres de cette communauté avaient compris qu’ils partageaient d’abord une même vie spirituelle, par leur relation avec Dieu, et qu’ils étaient unis par un lien spirituel plus que par des activités ou des « valeurs communes ».
Leur communauté s’est bâtie autour ce simple partage. Sans bâtiments ! Les réunions, la Sainte Cène avaient lieu dans des petits groupes chez les uns et les autres, et on se retrouvait tous ensemble au Temple Juif pour l’enseignement, la louange et la prière. 
Alors ces gens n’allaient pas à l’église : tout à la joie de l’Evangile qu’ils venaient de découvrir, ces croyants cherchaient simplement à être l’Eglise. A vivre la vie nouvelle. A être des pierres vivantes, à accueillir la vie de l’Esprit là où ils étaient. 

D’où leur joie, leur unité et leur simplicité. D’où leur rayonnement et l’impact de leur témoignage. Ils étaient des fruits produits par le Saint-Esprit. 

Est-ce que ce n’est pas aussi notre cas ? Est-ce que nous n’avons pas, exactement comme eux, été appelés chacun  par Dieu à nous joindre à sa famille ? A mettre en commun non seulement nos voix - pour chanter, nos corps - dans une même pièce, mais aussi nos coeurs ? Nos ressources ? Nos dons… pour sa gloire ? 
Alors nous pouvons nous aussi relever le défi, et croire que notre communauté peut elle aussi rayonner comme celle de Jérusalem ! 
Cessons de penser qu’il nous faut amener les gens à l’Eglise pour cela : nous sommes l’Eglise ! Et celle-ci rayonnera tout simplement par le pain que nous partagerons autour de nous. Pain de la Parole de Dieu. Pain de la fraternité, du temps offert aux autres. Pain de la grâce reçue et donnée. 

Rayonnement de l’amitié fraternelle. Rayonnement de l’amour de Christ partagé. Rayonnement aussi de ceux qui s’attendent à la vie de l’Esprit, dans la prière. 
En somme, rayonnement d’une communauté où chacun accueille l’autre comme il est accueilli par Dieu. De là naît la joie.
Cette joie est d’autant plus profonde que l’Esprit la fait naître même au milieu de la tristesse et des désillusions. On l’a dit, on sait que dans le quotidien, il y avait des tensions dans cette Eglise de Jérusalem. Et bientôt, des persécutions vont venir, et la dispersion de ces chrétiens permettra que l’Evangile soit proclamé « jusqu’aux confins de la terre ».
Mais à chaque époque, Dieu a fait rayonner des communautés, fidèle à cette promesse de Jésus : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux ». 
Et aujourd’hui encore, quand nous célébrons le culte, prions dans un groupe de quartier, partageons un repas ou accueillons une personne en son nom, Jésus le Ressuscité est présent, et son Esprit manifeste sa présence par la joie et la paix. 
Alors même si nos coeurs sont blessés ou inquiets, osons croire encore à la communauté. 
Dans ce monde de solitude et de repli, osons la fraternité ! Travaillons à créer du lien, pour partager le peu que nous avons avec ceux qui ont faim d’amour et de relations authentiques - et l’Esprit fera abonder sa vie ! 
De grandes choses peuvent naître d’un simple partage. C’est l’exemple que nous donne Jean Vanier. En 1964, ce chrétien promis à une brillante carrière militaire rencontre deux hommes avec un handicap mental, Raphaël et Philippe, vivant alors dans une institution psychiatrique. Profondément touché par leur détresse, Jean Vanier décide de vivre avec eux  dans une petite maison. De ce partage simple mais courageux est née la première communauté de l’Arche, où personnes handicapées et personnes valides vivent ensemble. Il y en a aujourd’hui 150 dans 38 pays - dont une à Lyon. 
Juste parce que Jean Vanier a eu à coeur de partager son pain avec ces hommes qui avaient faim de relation et d’attention.

Prenons un temps de silence pour réfléchir à deux questions : 
- qu’est-ce que Dieu m’a donné, et qu’il m’appelle à partager avec mes frères ? 
- qui pourrais-je inviter à partager ma table aujourd’hui ? 


Questions pour la discussion : 
1. Comment comprenez-vous l’idée d’être en « communion fraternelle » les uns avec les autres ? Comment devrait se manifester une telle communion ? 
Est-ce que ça signifie qu’il ne peut pas exister de désaccords entre chrétiens ? 

2. Comment recevez-vous le verset 45 ? Est-ce que cela vous semble trop radical, ou bien est-ce que cela remet en question quelque chose pour vous ? 


Commentaires