Prédication du dimanche 27 août 2018 - Matthieu 16. 13-20 - Qui dites-vous que je suis ? (S. Guiton)




Le texte de l’Evangile de Matthieu proposé pour notre méditation d’aujourd’hui, dans le calendrier liturgique, nous amène à un moment particulièrement critique du ministère de Jésus. Depuis des mois, par ses miracles et son enseignement, il a clairement manifesté qu’il était roi, et messie. Certains de ses disciples en sont de plus en plus convaincus. Mais les autorités religieuses ont maintenant rompu avec lui. Plusieurs disciples l’ont aussi quitté, scandalisés par certaines de ses paroles. 
Alors, seul avec ses plus proches disciples, au bord d’une route de Palestine, Jésus va vivre avec eux un moment de vérité…


13 Jésus arriva dans le territoire de Césarée de Philippe. Il demanda à ses disciples: « Qui suis-je, d’après les hommes, moi le Fils de l’homme ?» (= lui-même) 14 Ils répondirent : «Les uns disent que tu es Jean-Baptiste; les autres, Elie; les autres, Jérémie ou l'un des prophètes. » 15 « Et d’après vous, qui suis-je ?» leur dit-il. 16 Simon Pierre répondit : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. »
17 Jésus reprit la parole et lui dit : « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas une pensée humaine qui t’a révélé cela, mais c'est mon Père céleste. 18 Et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur ce rocher je construirai mon Eglise, et les portes du séjour des morts ne l'emporteront pas sur elle. 19 Je te donnerai les clés du royaume des cieux: ce que tu lieras sur la terre aura été lié au ciel et ce que tu délieras sur la terre aura été délié au ciel.» 20 Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu'il était le Messie.

Avant d’aller plus loin, je dois dire un mot rapide sur l’impact que ce court passage, pas toujours simple à comprendre, a eu dans l’Histoire. 
Pour l’Eglise catholique, ce texte fonde le dogme de la succession apostolique. Le pape, successeur de Pierre, poursuit la mission que Jésus lui confie ici, avec cette formule mystérieuse : « lier et délier sur la terre »,  tenir les « clés du royaume des cieux ». Il suffit d’aller au Vatican, et de visiter la basilique St Pierre, sur la place St Pierre, pour mesurer l’impact que ces paroles ont eu sur la politique et la culture européennes - encore aujourd’hui.
La compréhension protestante est que la mission de lier, délier, ouvrir ou non les portes vers Dieu à tous les hommes,  revient à tous les chrétiens, et qu’elle est liée à l’annonce de l’Evangile.
Mais on ne peut pas nier, c’est vrai, que Pierre reçoive effectivement la responsabilité de l’église naissante ; dans un jeu de mot volontaire, Jésus lui donne un nouveau nom - de Simon à Pierre - ce qui, dans la Bible, marque une nouvelle vocation
Pourquoi lui ? On ne sait pas vraiment, c’est la grâce de Dieu. On sait en tout cas qu’il se distingue ici des autres par sa foi.

Cette foi véritable se manifeste dans ce moment de vérité, où Jésus pose ces deux questions : « qui dit-on que je suis ? ». « Qui dites-vous que je suis ? ».

La première question pourrait être celle d’un politique en campagne, soucieux de connaitre sa cote de popularité et ce qu’on dit de lui sur les réseaux sociaux. Certainement, suite au départ de certains, Jésus est soucieux de savoir quel impact a sa prédication. 
Les disciples lui rapportent des réponses variées : les uns pensent qu’il est Jean Baptiste, ce prophète exécuté par le roi Hérode, et qui serait ressuscité. D’autres évoquent des prophètes plus anciens : Elie, Jérémie… Les gens discutent beaucoup - et d’ailleurs, ça n’a jamais cessé. Depuis deux mille ans, la question est discutée : qui est Jésus ? Chacun donne son opinion, sans aller plus loin la plupart du temps.
Mais une opinion sur Jésus, même bien fondée, ce n’est pas encore la foi

Les disciples, eux, se sont engagés. Ils ont tout quitté pour suivre Jésus sur les routes. Et avec tout ce qu’ils ont vu et entendu, ils ont eu le temps de se faire une opinion plus précise que les autres sur Jésus. Comme la foule, ils croient que Dieu existe, qu’il a inspiré les prophètes et qu’un Messie va venir. Ils commencent aussi à croire que Jésus est bien ce Messie... mais c’est encore un peu abstrait. Ils ne se prononcent pas encore tout à fait…
Ce n’est pas non plus la foi véritable, car celle-ci est une question de relation. Une relation dans laquelle on s’engage. Une relation de confiance, une relation d’amour.
Et c’est à cette relation que Jésus veut les amener. 

Alors il passe vite sur cette première question pour poser la deuxième, plus personnelle : « d’après vous, qui suis-je ? ». 

J’imagine qu’il y a eu un silence embarrassé. Est-ce que vous oseriez poser ce genre de question à vos amis ? Ou répondre franchement si un de vos proches vous la pose ? 
« D’après vous, qui suis-je ? ». Une demande d’ami à ami. Demander cela, c’est un signe de confiance envers ces hommes qu’il aime et respecte, et une invitation ouverte au dialogue. La foi, c’est la confiance. Et parce que Pierre a suffisamment confiance en Jésus, il ose dire simplement ce qu’il a sur le coeur, sans peur du jugement : « tu es le Messie, le fils du Dieu vivant ». 

Il faut oser une telle réponse ! 

Le Messie, c'est bien plus qu'un prophète, aussi grand soit-il. Le Messie, c'est celui qui devait apporter le salut pour son peuple. 
Celui qui allait « annoncer une bonne nouvelle aux pauvres » (cf Esaïe), « guérir ceux qui ont le coeur brisé », « proclamer aux captifs la délivrance, Et aux aveugles le recouvrement de la vue », « renvoyer libres les opprimés », et apporter la paix de Dieu à tous les hommes. 

Pierre qualifie aussi Jésus de « fils du Dieu vivant», ce qui n’est pas rien ! Là, à Césarée de Philippes, dans un territoire où toutes sortes de dieux sont adorés, l’expression résonne avec force : le « Dieu vivant », c’est le Dieu unique, créateur, tout-puissant, qui s’est révélé au peuple Juif… Dieu vivant par opposition aux idoles sans vie qu’on adore dans cette région. 
Dieu vivant et personnel que Pierre reconnait en Jésus, dans sa personnalité, ses paroles, dans sa façon d’entrer en relation.

Comment Pierre est-il arrivé à comprendre cela ? 

Sa réponse ne provient pas d’un élan d’émotion provoqué par un grand miracle, une prédication enflammée ou un moment de louange de 2h30. Il lui a fallu du temps pour arriver là. 

Sans doute la conviction a grandit peu à peu en lui, dans la fréquentation de Jésus, et sous l’action du Saint Esprit. Sa réponse est mûrie sans pression, dans la liberté.

Reconnaissons que confesser la divinité de Jésus, c’est une folie d’un point de vue rationnel… Jésus dit que c’est un cadeau que Dieu lui a fait. Paul ajoute que « personne ne peut dire « Jésus est Seigneur » si l’Esprit Saint ne lui inspire » (1 Co 12.3). 
Ainsi, Pierre reçoit le don de la foi, éclairé par Dieu, mais il n’est pas non plus passif : on le voit réceptif, désireux d’avancer, d’écouter. 
Il consent à se laisser faire, et c’est aussi cela, la foi - accorder sa confiance à Dieu pour qu’il nous amène plus loin. 
Je trouve extrêmement touchante cette rencontre entre deux hommes qui se reconnaissent mutuellement : « je te reconnais comme le Messie », dit Pierre. « Je vois en toi celui qui va s’occuper de mon Eglise », répond Jésus. 
J’ai envie de dire qu’être chrétien, c’est entrer dans cette reconnaissance-là : reconnaitre en Jésus Dieu lui-même venu à notre rencontre, pour nous réconcilier avec lui - et marcher vers lui à notre tour. Tendre vers lui dans la prière qui est un dialogue franc, libre et ouvert avec Dieu. 

Dans ce dialogue, cette rencontre avec le Dieu vivant, je vais me découvrir à mon tour reconnu comme un frère, comme un enfant aimé, comme un membre à part entière du peuple de Dieu, de sa famille. 

Quel que soit mon chemin, mon histoire, c’est en Jésus seul que je pourrai rencontrer Dieu. Il me faudra donc répondre à cette question : « qui est Jésus pour moi ? », pour dépasser le simple stade de la croyance un peu générale et entrer dans la foi-relation. 
Voilà pourquoi, dans notre tradition chrétienne, on demande un témoignage personnel pour être baptisé, ou devenir membre de l’Eglise.
« Qui dites-vous que je suis ? »
Je crois profondément qu’on n’a jamais fini de répondre à cette question : « qui est Jésus pour moi ? », ni de comprendre qui il est. Peut-on faire le tour de quelqu’un, et prétendre qu’on sait tout de lui ? A plus forte raison quand il s’agit de Dieu lui-même ! 
Aussi, je vois dans ce passage de l’Evangile un encouragement à garder cette question au centre de notre vie de foi. Qui est Jésus, pour moi ? Qui es-tu, Jésus ? 

Certainement il existe bien des sujets intéressants en lien avec la foi, bien des combats à mener, des causes à défendre… certains se passionnent pour les questions scientifiques, d’autres luttent contre les injustices, d’autres militent dans le domaine de l’éthique, de l’action sociale… et c’est bien ! Mais que cela ne nous fasse pas de vue Jésus-Christ, qui est le centre, et notre relation avec lui.
Qui es-tu, Jésus ? 
Je ne veux pas cesser de me poser cette question, même si la tentation est grande de m’endormir sur ce que je sais déjà. 
L’exemple de Pierre montre que si la réponse théologique ne change pas, notre compréhension s’approfondira avec le temps et les expériences de vie. Ainsi, au moment où cette scène se passe, Pierre ne comprend pas encore tout à fait ce qu’il déclare. C’est d’ailleurs pour cela que Jésus demande de ne dire à personne qu'il est le Messie : ses disciples n’ont encore bien compris.
Nul doute que tout ce que Pierre a vécu après cet échange lui a permis de saisir de plus en plus profondément, de plus en plus personnellement, qui était Jésus. Et qui il était pour lui. Par la suite, Pierre a assisté à la transfiguration, à son entrée triomphale à Jérusalem puis à son arrestation. Il l’a alors renié Jésus, il est passé par une profonde nuit intérieure avant d’assister à la résurrection de Jésus, le matin de Pâques, et d’entendre à nouveau sa voix encourageante et aimante : « prends soin de mes brebis ». Il a ensuite reçu le Saint Esprit, l’Esprit de Christ qui a fait de lui le premier témoin de l’Evangile. 

Qui est Jésus ? 
On n’a jamais fini de répondre à cette question. 
Alors je veux continuer à la méditer, chaque jour.

Parce que Jésus n’attend pas que nous transmettions simplement une croyance, ou une doctrine, mais une conviction forgée au contact de la vraie vie, dans l’action, dans l’épreuve. 

Parce qu’avoir la foi, c’est la vivre, je veux continuer à ruminer cette question, dans la prière, dans la méditation de la Bible, et dans tout ce que je vis : qui es-tu, Jésus ? 
Qui es-tu le dimanche matin quand je vais à l'Eglise ?
Qui es-tu le lundi matin quand je reprends le travail ? 
Qui es-tu quand j’ai des décisions importantes à prendre ?
Qui es-tu quand je fais mon budget et que je fixe mon emploi du temps ?
Qui es-tu quand l’angoisse me tient, qu’un drame me frappe ?  Quand un proche me trahit ? Ou quand je suis en paix, aimé et aimant, heureux de qui je suis et de ce que j’ai ?

Prenons le temps chaque jour, dans la prière, de nous placer devant Dieu pour recevoir de lui la réponse qu’il nous destine. 
Il marche avec nous, et il saura se révéler à nous. 

« Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre », dit Jésus à la fin de l’Evangile de Matthieu. « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28.20)

Amen

Prière : 
Je cherche ton visage, Seigneur,
ne me le cache pas.
Enseigne-moi au plus profond de mon coeur,
où et comment je dois te chercher,
où et comment je te trouverai.
Puisque tu es partout présent,
d’où vient que je ne te vois pas ?
Tu habites, je le sais, une lumière inaccessible.
Mais où resplendit-elle cette lumière,
et comment parvenir jusqu’à elle ?
Qui me guidera, qui m’introduira
pour que je puisse te voir ?
Regarde-moi Seigneur et exauce-moi.
Donne-moi la lumière, montre-toi.
Aie pitié de mes efforts pour te trouver
car je ne peux rien sans toi.
Tu nous invites à te regarder, aide-moi ;
apprends-moi à te chercher
car je ne peux le faire si tu ne me l’apprends pas.

Prière d’Anselme (moyen âge)

Conseils pour aller plus loin : 

 - le livre de P. Yancey : Ce Jésus que je ne connaissais pas.

- prendre une heure pour lire l'Evangile de Marc comme si c'était la première fois qu'on entend parler de Jésus... prier que Dieu nous parle, et noter tout ce qui attire notre attention, nous touche, nous interroge... dans les paroles, les actes de Jésus. 


Questions pour la discussion en groupe (d'après un travail de V. Miéville, pasteur de l'EEL de Toulouse) : 

Questions bibliques et théologiques
Comparez la version du même épisode dans l'évangile de Luc (Luc 9.18-22 )
- Quelles sont les différences ? Quelles sont les paroles en plus chez Matthieu ? 
- Comment l'épisode suivant (Mt 16.22-23) peut-il éclairer le fait que Jésus interdise à ses disciples de dire qu'il est le Messie ?

Questions personnelles
- Comment ce que je crois à propos de Jésus se traduit-il dans ma relation de foi avec lui ? Sa nature divine ? Son incarnation ? Sa mort et sa résurrection ? Son retour ?
- Si je devais expliquer en quelques mots à quelqu'un qui est Jésus pour moi... que dirais-je ? 



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